"Tout journal est un confessionnal.
S'il est à la première personne, il ne peut que l'être.
A moins que on auteur se mente à lui-même-ce qui ne le rend que plus confessionnel encore.
Je tente de passer le paysage au tamis de mon journal.
Peut-être mettrai-je au jour quelque chose."
Lawrence Ferlinghetti."
"Nous vivons
comme nous rêvons-
seuls."
Joseph Conrad
"Ne pas se servir de mots plus grands que les choses."François de la Rochefoucauld
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« Venez fêter l’anniversaire de l’homme le plus dangereux du monde ! »
C’est ainsi que Julian Assange invitait le gratin à célébrer ses
40 ans, le 3 juillet 2011. Depuis la divulgation l’année précédente de
documents confidentiels/défense sur la guerre en Irak et en Afghanistan,
et notamment la célèbre vidéo « Collateral Murder »
sur un raid aérien de l’armée américaine ayant provoqué la mort de
civils, le fondateur de l’organisation Wikileaks est devenu l’ennemi
public numéro un des Etats-Unis. Mais en cet été 2011, en résidence
surveillée dans le manoir d’Ellingham Hall qu’un ami lui a prêté dans le
comté de Norfolk, Assange est encore libre de ses mouvements. Imaginait-il
à quel point sa boutade décrirait les onze années qui allaient suivre ?
Moins d’un an après cette fête, il doit se réfugier dans l’ambassade
d’Equateur à Londres, pour éviter d’être extradé. Il y vivra sept ans,
épié par des caméras de surveillance, avant d’en être expulsé en 2019.
Depuis lors, le fondateur de Wikileaks est incarcéré dans la prison de
haute sécurité de Belmarsh, dans le nord de Londres.
C’est là, en détention, qu’il a épousé son ancienne avocate et compagne Stella Morris,
en mars 2022. Là aussi qu’il a vu l’étau se resserrer vers une
extradition aux Etats-Unis, où il risque jusqu’à 175 ans de prison. Son
avocat, Me Antoine Vey, qui s’inquiète pour l’état de santé de son client, dénonce : « Il n’a pas posé de bombes, n’a attenté à la vie de personne, et pourtant il est traité de pire façon qu’un terroriste. La
dernière fois que je l’ai vu, c’était le 17 juin 2022, le jour où la
secrétaire d’Etat britannique, Priti Patel, signait son acte
d’extradition vers les Etats-Unis. Je ne l’avais jamais vu aussi
affaibli. »
Le 28 novembre, les cinq journaux (« The New York Times », « The
Guardian », « Der Spiegel », « El Pais », « le Monde ») qui, il y a
douze ans, avaient publié de concert avec Wikileaks les fameuses
révélations, ont lancé un appel.
Dans ce texte, ils demandent au gouvernement américain d’abandonner les
poursuites contre Julian Assange. Tout en rappelant que certains des
choix ultérieurs du fondateur de Wikileaks, partisan de la transparence
absolue, avaient provoqué des débats d’éthique journalistique, notamment
en 2011 au moment de la publication de télégrammes diplomatiques non
expurgés pouvant mettre en danger des informateurs des Etats-Unis.
SITUATION DESESPEREE
Alors, Assange, journaliste ou lanceur d’alerte tête brûlée, pas
assez vigilant quant au respect de la sécurité de ses sources ? « On confond tout ! Avec l’affaire Assange, c’est la liberté de la presse qu’on menace car il a agi comme éditeur de presse »,
martèle Antoine Vey. L’équipe juridique continue de multiplier les
recours : devant la Cour européenne des Droits de l’Homme ; devant la
justice britannique, pour contester la décision d’extradition en appel ;
comme un baroud d’honneur, tant la situation d’Assange semble
aujourd’hui désespérée et son extradition inéluctable.
Amnesty International, Reporters sans Frontières,
la FIJ (Fédération internationale des Journalistes) dénoncent aussi une
décision qui met en danger la liberté de la presse, mais ils ont l’air
de protester dans le vide. Car combien sont-ils, les élus français et les personnalités qui soutiennent encore Julian Assange ? Jean-Luc Mélenchon, François Ruffin, Cédric Villani… Me Antoine Vey explique :
« Notre but est aujourd’hui de mobiliser également l’Elysée. Et les
institutions européennes. Assange ne peut avoir un procès équitable aux
Etats-Unis, il doit être gracié. »
On peine à imaginer pourtant qu’Emmanuel Macron fasse quoi que ce
soit dans ce dossier piégé. En 2015, déjà, François Hollande avait
refusé d’accorder l’asile à Assange. Sept ans plus tard, alors que
l’Europe se débat dans le conflit le plus meurtrier
depuis la Seconde Guerre mondiale, le sort de ce prisonnier encombrant
est le cadet des soucis de ses dirigeants.
Nils Melzer, ancien
rapporteur des Nations unies sur la torture, devenu un défenseur acharné
d’Assange, a qualifié son calvaire de « torture psychologique ». Selon
lui, les autorités britanniques veulent briser cet homme, alors qu’en
d’autres temps elles avaient été bien plus clémentes envers un détenu
dont l’extradition était réclamée pour crimes contre l’humanité :
Pinochet. L’ancien dictateur du Chili, arrêté à Londres en 1998, avait
été libéré en 2000 pour raisons de santé.
Reste l’opinion publique. Superstar il y a dix ans, objet de plusieurs films (le long métrage « le Cinquième Pouvoir », le documentaire « Risk »), Assange semble avoir été rayé de notre mémoire collective. Un autre « héros » de l’information l’a remplacé en 2013, le lanceur d’alerte Edward Snowden,
à l’origine du scandale des écoutes de l’agence de sécurité américaine
NSA (National Security Agency). Assange l’a d’ailleurs soutenu dans sa
fuite, un argument qui a été utilisé par la justice pour lui refuser une
libération conditionnelle. Fidel Narvaez, ami d’Assange, ancien consul
d’Equateur à Londres, s’en souvient très bien : « Nous avions aidé Snowden à s’enfuir de Hongkong .
Je suppose que cela a encore renforcé la détermination des Etats-Unis à
faire un exemple d’Assange… »
C’est Fidel Narvaez, qui, au sein de l’ambassade d’Equateur, à Londres,
délivra un sauf-conduit au fugitif Snowden tandis que Sarah Harrison,
l’une des plus proches collaboratrices d’Assange, munie du document,
s’envola pour Hongkong et l’accompagna jusqu’à Moscou. Snowden avait lui
aussi demandé l’asile en France, en vain. En plein conflit avec l’Ukraine, alors que le rideau de fer s’est à nouveau abattu comme à l’époque de la guerre froide, l’obtention de sa nationalité russe sonne comme une provocation à l’égard des Etats-Unis.
ESPIONNE EN PERMANENCE
Il y a une autre raison pour laquelle le grand public ne sait plus
trop quoi penser du dossier Assange. Son image a été durablement
entachée par cette plainte pour viol, pour « sexe par surprise »,
en Suède en 2010 et par le bras de fer qui en a découlé avec les
autorités suédoises. Persuadé qu’il serait livré illico aux Etats-Unis
s’il remettait les pieds en Suède, Assange ne s’est jamais rendu à ses
convocations devant la justice, se condamnant de facto à une vie de
fugitif alors qu’il était l’objet d’un mandat d’arrêt européen. Le
parquet suédois a clos définitivement l’enquête
en novembre 2019, faute de preuves. Mais à cette époque, le
positionnement d’Assange et de Wikileaks est déjà brouillé : Wikileaks
continue de divulguer des « leaks », mais en faisant cavalier seul, et tant pis si l’intérêt journalistique de ces « fuites » peut parfois sembler discutable.
Ainsi,
en 2016, Wikileaks s’invite dans la campagne électorale opposant
Hillary Clinton à Donald Trump en divulguant tout un paquet de courriers
électroniques d’élus démocrates. Assange et Wikileaks deviennent alors
des « héros » aux yeux de républicains trumpistes qui le vouaient jadis
aux gémonies, comme Sarah Palin, l’ancienne gouverneure de l’Alaska.
Trump clame « I love Wikileaks ». Par un étrange revirement, Assange devient une espèce d’apôtre dans des milieux très controversés comme la secte QAnon, qui voient en Trump un émissaire chargé de débouter l’« Etat profond » et qui, sur la base des fameuses « leaks »
des mails de démocrates, ont élaboré les théories du complot les plus
folles. Aujourd’hui encore, le patron de la pizzeria Comet Ping Pong à
Washington, dont les mails se sont retrouvés dans les fuites, est
harcelé par des complotistes persuadés que son établissement abritait
des rituels sataniques et pédophiles.
Les fuites ont-elles contribué à faire élire Trump ? Surtout,
Wikileaks a-t-il été manipulé par la Russie pendant la campagne
électorale de Trump, et les mails des démocrates ont-ils été obtenus via
un hacker russe ? Les proches d’Assange ont toujours nié farouchement
toute collusion avec la Russie. Seule certitude : si Trump a affirmé son
« amour » pour Wikileaks, il ne l’a pas vraiment démontré dans les
actes, bien au contraire. C’est son administration qui a lancé la chasse
à l’homme à l’encontre de Julian Assange. Barack Obama, lui, avait
choisi l’attentisme ; ses conseillers juridiques craignaient qu’un
mandat d’arrêt n’ait des conséquences indirectes sur la liberté de la
presse – Wikileaks a collaboré avec de nombreux médias lors de la
diffusion des « warlogs » sur la guerre en Irak et en Afghanistan.
Mais Trump, lui, se fiche bien de la liberté de la presse : « America first » !
Et puis, quand il arrive à la Maison-Blanche, il nomme Mike Pompeo à la
tête de la CIA : lui est fou de rage contre Assange. Surtout depuis la
divulgation par Wikileaks au printemps 2017 de Vault 7, un arsenal
d’outils de hacking utilisé par la CIA. Pour Pompeo, la messe est dite.
Wikileaks est un « organisme de renseignement ennemi ». Il faut
écraser Assange. Le 21 décembre 2017, un mandat d’arrêt est émis à son
encontre, selon des documents obtenus par les documentaristes Etienne
Huver et Marina Ladous qui ont réalisé plusieurs films sur Assange. Le décompte pour l’extradition a commencé.
Assange est l’obsession de Mike Pompeo. La cible numéro un de la CIA. Selon une enquête de Yahoo News,
Pompeo et la CIA avaient envisagé d’enlever le fondateur de Wikileaks,
alors que des rumeurs couraient sur sa fuite de l’ambassade
équatorienne, direction Moscou. Un ancien des services explique même que
lors d’un briefing, Trump s’est demandé s’il serait possible pour la
CIA de faire assassiner Assange… « Impossible de savoir si c’était sérieux, ou si c’était Trump faisant du Trump », dit cet ancien officiel cité par Yahoo News.
La
situation d’Assange dans l’ambassade d’Equateur devient de plus en plus
inconfortable, avec l’arrivée au pouvoir à Quito début 2018 de Lenín
Moreno. Pour le nouveau président, Assange est un « tracas »
dont il faut se débarrasser au plus vite. L’hôte indésirable se
transforme en prisonnier. Entouré désormais d’un personnel qui lui est
hostile : son ami Fidel Narvaez, un des proches de l’ancien président
Rafael Correa, a été viré. On lui coupe l’accès à internet, on filtre
ses visites… Assange est espionné en permanence par la société de
surveillance espagnole UC Global, qui travaille aussi en sous-main pour
la CIA. Il se cache dans les toilettes pour femmes quand il est au
téléphone, utilise un brouilleur pour que ses conversations ne soient
pas audibles.
PLAINTE CONTRE LA CIA
Le journal espagnol « El País » révèle l’ampleur de cette
surveillance clandestine et les images récupérées des vidéos de
surveillance sont irréelles, une dystopie façon « Loft Story ». On y
voit Assange faire du skateboard en short
dans une pièce de l’ambassade. Ou traînant un matelas avec Stella
Morris pour s’installer dans un angle mort des caméras et tenter de
voler un instant d’intimité. La présence d’un bébé ayant été signalée
lors d’une visite à l’ambassade de son avocate et compagne, UC global
récupère les couches dans les poubelles pour effectuer des tests ADN et
vérifier qu’il s’agit bien de l’enfant du couple… A l’été 2022, les
avocates américaines d’Assange ont porté plainte contre la CIA pour
surveillance illégale.
L’homme le plus dangereux du monde ? Il y avait quelque chose de kafkaïen à suivre le procès d’Assange pour extradition
en février 2020. Enfermé dans un bocal en verre, l’homme peinait à
entendre les débats et les questions de la juge. Mais l’audience
continuait son cours, même si l’accusé ne pouvait réellement se
défendre. Tous les matins, on l’extrayait de sa cellule pour lui faire
emprunter un long couloir souterrain reliant directement la prison au
tribunal. Sans qu’il puisse même humer l’air extérieur. A l’isolement,
le prisonnier n’a droit qu’à 45 minutes de promenade par jour, dans la
cour bétonnée de la prison. Toujours seul. Cela fait plus de dix ans
qu’Assange n’a pas vu un brin d’herbe. Il a confié au philosophe Srecko
Horvat, son ami, que pour tenir, il imagine, enfermé dans l’espace
étriqué de sa cellule, qu’il fait le tour de l’Europe à pied. Et chaque
soir, il compte les kilomètres qu’il a parcourus dans sa tête." ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^[[[[[[[[[[[[[[[[{{{{{{{{###
"Sois toujours très imprudent, mon petit, c'est la seule façon d'avoir un peu de plaisir à vivre dans notre époque de manufactures."
Jean Giono
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L.A. philosophie
- La loire-Atlantique tourne en rond
"Petit patapon" (voix off)