jeudi 5 mars 2020

croît aussi ce qui sauve



Les mots des autres ont le parfum étrange de l'inconnu retrouvé, comme ces lieux que l'on visite en rêve et qui nous paraissent curieusement si  familiers.
 Ils nous rejoignent aux entrailles de l'âme.

Les mots des autres ont la vigueur des rapports de chair et de cendre et la noblesse de l'inattendu.

 Ils sont habilités à la souplesse des vagues lorsqu'elles s'insinuent dans les interstices et laissent à la sagesse des coquillages échoués le dos à l'air, l'ombre d'un regard au couchant de la vie.

Ils sont à prendre mais jamais en laisse car souvent ils se retournent les manches pour t'en coller une, et te mettre sans voix, devant tant de force majesté.

Comme une seconde peau, ils nous opèrent à vif . Aussi, pas besoin de les essayer pour deviner qu'ils nous iront.

 D'ailleurs, ne nous trompons pas, ce sont eux qui nous cherchent et non le contraire."




"Tout bouge, tout se soulève après l'hivernale raideur."
Rainer Maria Rilke






"Toi le féminin, ne nous délaisse pas car tout ce qui n'est pas mué en douceur ne survivra pas. 
Toi qui survivra, relève-nous ton mystère que peut-être toi-même tu ignores, sinon le mystère ne serait pas. 
N'est-ce pas que le printemps est empli d'oiseaux dont l'appel se perd au loin ? Que l'été nous écrase de son incandescence dont la senteur nous poigne jusqu'aux larmes ? Que l'automne nous laisse désemparé par son trop plein de couleurs, de saveurs ? Que l'ultime saison rompt le cercle, nous plongeant dans l'abîme de l'inguérissable nostalgie ?
Mais en toi demeure le mystère que peut-être toi-même tu ignores. 
En toi, ce qui est perdu, ce qui est à venir, au lac d'avant la pluie, aux caressants nuages, collines après l'orage aux contours frais et pleins. 
Ne nous délaisse pas, toi le féminin, hormis ton sein, quel lieu pour renaître".
François Cheng
Ce texte a été lu par Juliette Binoche dans le cadre de l'émission "Boomerang"d'Augustin Trapenard
sur France Inter
source









"Un homme avance dans une nuit claire, au milieu des champs.
Sous son bras, il porte un violon."
Andreï Makine

mercredi 4 mars 2020

trouvez ce que le marin a caché



"Au cours de l'automne 1939, nous retournâmes à Paris, et, vers le 20 mai de l'année suivante, nous étions de nouveau près de la mer, cette fois sur la côte ouest de la France, à Saint-Nazaire. Là, un dernier petit jardin nous entoura, tandis que toi et moi, et notre enfant, maintenant âgé de six ans, entre nous deux, le traversions en nous rendant aux docks, où derrière les bâtiments qui nous faisaient face, le paquebot Champlain nous attendait pour nous emmener à New York.
[...]



 [...]
Là, devant nous, à l'endroit où une rangée interrompue de maisons se dressait entre nous et le port, et où l'oeil rencontrait toute sortes de camouflages, tels que du linge de corps bleu pâle et rose dansant le cakewalk sur une corde à linge, ou une bicyclette de dame voisinant bizarrement avec un chat rayé sur un rudimentaire balcon de fer coulé, quelle profonde satisfaction ce fut de distinguer, parmi le brouillamini angulaire des toits et des murs, une superbe cheminée de tableau, se laissant voir derrière la corde à linge comme ce que, dans une image devinette-Trouvez ce que le marin a caché-, on ne peut plus ne pas voir une fois qu'on l'a vu."
Vladimir Nabokov extrait de: "Autres rivages" traduction: Yvonne Davet-Editions Gallimard














"Je veux dédier ce poème
A toutes les femmes qu'on aime
Pendant quelques instants secrets
A celles qu'on connaît à peine
Qu'un destin différent entraîne
Et qu'on ne retrouve jamais

A celle qu'on voit apparaître
Une seconde à sa fenêtre
Et qui, preste, s'évanouit
Mais dont la svelte silhouette
Est si gracieuse et fluette
Qu'on en demeure épanoui

A la compagne de voyage
Dont les yeux, charmant paysage

Font paraître court le chemin
Qu'on est seul, peut-être, à comprendre
Et qu'on laisse pourtant descendre
Sans avoir effleuré la main

A celles qui sont déjà prises
Et qui, vivant des heures grises
Près d'un être trop différent
Vous ont, inutile folie,
Laissé voir la mélancolie
D'un avenir désespérant

Chères images aperçues
Espérances d'un jour déçues
Vous serez dans l'oubli demain
Pour peu que le bonheur survienne
Il est rare qu'on se souvienne
Des épisodes du chemin



Mais si l'on a manqué sa vie
On songe avec un peu d'envie
A tous ces bonheurs entrevus
Aux baisers qu'on n'osa pas prendre
Aux coeurs qui doivent vous attendre
Aux yeux qu'on n'a jamais revus

Alors, aux soirs de lassitude
Tout en peuplant sa solitude
Des fantômes du souvenir
On pleure les lèvres absentes
De toutes ces belles passantes
Que l'on n'a pas su retenir"

Georges Brassens -source: Frédéric Corvest



Niki de St Phalle dans "Retour aux docks"


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Lu dans Marianne n°1198
-cqfd- pour les pas "oeil de lynx" on clique sur l'article










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