lundi 5 décembre 2011

fera jour demain



C'était chaque année la même histoire, comme une  impression  d'avoir enclenché sans le vouloir le pilotage automatique. Comme si son système immunitaire conscient des risques à prendre, préférait économiser l'énergie en le mettant -en quelque sorte- en veille ou alors  pour reprendre une métaphore de son temps, en partitionnant  son disque dur pour le protéger des attaques extérieures.

Selon son biographe attitré s'il en avait eu un, mais  tout au moins d'après sa fiche de traçabilité , il aurait dû  pourtant  profiter avec un plaisir exonéré de remords de cette rencontre particulière de l'année en contrée pacifiée où l'on se devait de célébrer la  conception individuelle et  tout à fait relative du beau, du bon  et de sa famille épanouie.

Ni les pouvoirs publics,  ni l'entreprise privée, ne lésinaient leur temps et leurs presque moyens adaptés bien entendu aux circonstances économiques, pour faire en sorte que l'individu nageant dans leurs eaux soit en mesure de se mettre dans un état mental tout à fait propice à une certaine béatitude lui permettant ainsi  de prendre du plaisir à dépenser sans  trop  raison gardée,  au milieu d'une foule de
semblables tout aussi affamés. Les plus récalcitrants n'agissant que par obligation mais toujours présents.
Comme un devoir d'humanité sur sa fin de l'année.
Comme un arrière  goût de  suppositoire avant de fermer la porte et d'en ouvrir une autre sur un vigoureux: "T'inquiète petit, fera jour demain."



source:.Serge

Il avait ressorti du grenier et de son carton tout du long poussiéreux ,  un  sapin inoxydable ou presque, en tout cas qui ferait  bien  encore l'affaire cette année.  Les guirlandes  rangées dans leur pochon piaffaient d'impatience à l'idée de pouvoir enfin  quelques semaines crécher  aux exhibitionnistes  patentés. Chacun mettait du coeur à l'ouvrage  pour être dans l'ambiance et en bon soldat lui aussi,  il remplissait sa part d'utile.

Mais cela ne l'empêchait pourtant pas d'être ailleurs.
Seulement où?
A la  question, il ne savait répondre.
Parce qu'il n'avait  pas de mots pour l'expliquer,
ou alors toujours les mêmes liés à la saison, la conjoncture et ses effets secondaires...
Mais au fond,
tout au fond...
Là où les mots n'ont plus d'importance, il se prenait un air de trouble-fête, embarqué dans une aventure qui n'en était plus une depuis qu'il avait rempli son constat d'enfance.
C'était devenu  un rituel pour renacler les saisons, une glace sans fond de teint,
une raison comme une autre
et l'envers du doute.




Toutes les conditions étant sans doute  réunies , comme pour répondre à une quelconque exigence  soudainement impérieuse, il découpa  le journal municipal et  son Père Noël de l'estuaire qui annonçait la bonne parole  locale,
  et renouant ainsi , avec de vieilles coutumes il laissa filer le courant en pensant qu'il ferait bien assez tard pour essayer de le rattraper.

source: Toile

vendredi 2 décembre 2011

tranches amères d'enfance et mise en perspective


source: Toile

C'est le prestige ou peut-être l'arrogance d'un clavier qui s'échappe, lorsqu'on n'y prend garde, vers les sirènes du  grand large...
Mélanger,
triturer,
absorber,
décortiquer,
désacraliser l'émotion.
Presque tout se permettre,
au risque de
???



".../...Oui, tu avais quoi, Natacha, deux mois, trois mois? La petite dernière, celle qu'on fait malgré les années de chômage, pour garder foi en l'avenir, celle qu'on fait malgré les mensonges de la gauche au pouvoir qui avait promis de sauver la baraque, qui avait juré qu'on continuerait à faire de l'acier à Denain. il y avait même des ministres communistes au gouvernement quand tu es née, Natacha, tu vois comme la vie allait être plus belle.
Les années se mélangent, je suis fatigué, mais je suis certain que c'était un mardi 12 décembre.
Je vais te dire pourquoi, Natacha, parce que je me souviens du petit garçon que j'étais quand la nouvelle est tombée le 12 décembre 1978 et qu'Usinor a annoncé la suppression de cinq mille emplois à Denain et de cinq cent cinquante à Trith-Saint-léger..../..."
extrait de: Le Bloc-Jérome Leroy-




source: Toile

".../....Je me nomme Paul Blick. J'ai cinquante-quatre ans, un âge embarrassant qui hésite entre deux perspectives de l'existence, deux mondes contradictoires. Chaque jour les traits de mon visage se recouvrent des fines pellicules de l'âge. J'avale régulièrement du phosphate de dysopyramide, du chlorhydrate de propanolol et, comme tout le monde, j'ai arrêté de fumer. Je vis seul, je dîne seul, je vieillis seul, même si je m'efforce de garder le contact avec mes  deux enfants et mon petit-fils. Malgré son jeune âge - il va avoir cinq ans-, je retrouve parfois sur son visage certaines expressions de mon frère, mais aussi cette assurance, cette sérénité que Vincent affichait pour traverser la vie. A l'image de mon frère, cet enfant semble habité d'une paisible énergie, et croiser son regard, lumineux et scrutateur, est toujours une expérience troublante.../..."
extrait de: Une vie française-Jean-Paul Dubois-


source: Toile


".../...Comme un bombardement, Natacha, un tapis de bombes. A cause, notamment, de ces enculés de Bruxelles, déjà. On disait la CEE à l'époque, moi je dis que c'étaient des enculés et que ce sont toujours des enculés, Natacha.
Et que c'était trois ans après jour pour jour, un 12 décembre, que les gendarmes sont arrivés à la maison, que maman leur a proposé, forcément, du café, tu sais bien Natacha, cette cherloute du Nord, trop claire, cette lavasse qui reste toute la journée et qui laisse une odeur dans toutes les maisons. Hélène n'était pas là. Elle venait d'entrer en seconde. Elle apprenait ses leçons chez une copine sans doute les Borowiek, trois maisons plus loin.
C'était la fierté de la rue, Hélène.
Les gendarmes, Natacha, les gendarmes...
Peut-être avaient-ils faits partie de ceux qui avaient cogné papa pendant une de ces manifs qui avaient dégénéré, quand ils l'avaient surpris avec une fronde et des boulons. Peut-être avaient-ils fait partie de ceux qui lui avaient pratiquement fait perdre un oeil à force de le tabasser à cinq ou six alors qu'il était à terre.../..."
 extrait de : Le Bloc-Jérome Leroy



source: Toile

".../...Pour le quatrième anniversaire de Louis, j'ai descendu le carrosse des étagères du haut de la bibliothèque, et je l'ai déposé devant lui. il a longuement examiné l'objet, les roues, les chevaux, sans les toucher. Nullement subjugué, il paraissait plutôt dresser un inventaire mental de chacun des détails. Au bout d'un moment, je lui ai dit que, s'il collait son oreille sur le parquet, peut-être entendrait-il, à son tour, le bruit des sabots. Sceptique, il s'accroupit tout de même et, dans cette posture, m'offrit, l'espace d'une seconde entrebâillée, le bonheur d'entrevoir ma jeunesse défiler au grand galop.
L'enterrement de Vincent fut un moment effroyable et je peux dire que depuis ce jour, malgré nos efforts, mes parents et moi-même n'avons jamais pu parvenir à reformer une véritable famille. A l'issue de la cérémonie, mon père me remit l'appareil photo Brownie Flash Kodak de mon frère, sans imaginer que plus tard cet objet allait changer ma vie.
.../..."
Extrait de Une vie française- Jean-Paul Dubois

source: Toile




".../...Oui, c'étaient peut-être ces mêmes gendarmes qui sentaient le dehors et le tabac froid qui disaient à Maman qui avait dans les mains une guirlande dorée parce que malgré tout, on avait beau dire, c'était Noël: "Pas de chance, madame Stankowiak. il faisait nuit. Il faisait du brouillard. et puis, il avait peut-être bu un coup de trop avec ses copains de la cégète au Poilu. il y passait beaucoup de temps, non, depuis quelques mois? Mais non, madame Stankowiak, on ne dit pas que votre mari buvait. Tout le monde sait que c'était un ouvrier sérieux même si un de nos collègues de la gendarmerie de Saint-Amand l'a contrôlé en excès de vitesse il y a deux semaines et qu'il sentait l'alcool. il n'a pas verbalisé parce qu'on sait que c'est difficile en ce moment pour les anciens d'Usinor. Non, vous ne pouvez pas le voir, il a été emmené à la ..., enfin vous pourrez venir le reconnaître demain, si vous voulez. Un suicide, mais pourquoi un suicide, madame Stankowiak? De toute façon, il vaudrait mieux pas. il avait peut-être prévu une assurance-vie, même toute petite? Et dans ces cas-là, vous savez, ils font des histoires. Pareil pour le fonds d'indemnisation. enfin nous, ce qu'on vous en dit, madame Stankowiak..."
.../..." 
Extrait de: Le Bloc-Jérome Leroy-




source: Toile

.../...La mort de Vincent nous a amputés d'une partie de nos vies et d'un certain nombre de sentiments essentiels. Elle a profondément modifié le visage de ma mère au point de lui donner en quelques mois les traits d'une inconnue. Dans le même ,temps, son corps s'est décharné, creusé, comme aspiré par un grand vide intérieur. La disparition de Vincent a aussi paralysé tous se gestes de tendresse. jusque-là si affectueuse, ma mère s'est transformée en une sorte de marâtre indifférente et distante. mon père, autrefois si disert, si enjoué, s'est muré dans la tristesse, le silence, et nos repas, jadis exubérants, ont ressemblé à des diners de gisants. oui, après 1958, le bonheur nous quitta, ensemble et séparément, et, à table, nous laissâmes aux speakers de la télévision le soin de meubler notre deuil.
.../...
-
Extrait de: une vie française-Jean-Paul Dubois.



-source: Toile

".../..Et toi, Natacha, tu en dis quoi quand tu fais des ateliers d'écriture avec des chômeuses, des licenciées du textile de Roubaix, de la Cristallerie d'Arques ou des précaires de chez Toyota, parce que ce n'est pas ce qui manque la misère sociale à encadrer dans le Nord-Pas-de-Calais. Tu en penses quoi?
Il était bourré, papa?
Ou il s'est suicidé froidement?
Dis-le,Natacha, dis-le,  parce que, moi, la seule chose dont je suis certain, c'est que les gendarmes, ils ont achevé de tuer ce qui restait d'un petit garçon, ce 12 décembre.
Je ne sais toujours pas qui est né après, je sais juste que c'est quelqu'un qui ne supporte plus que le café très fort, qui déteste l'approche de Noël, les guirlandes et toutes ces joyeuses saloperies lumineuses. Je sais que tu dois penser avec Hélène que c'est un monstre, un skin hyperviolent, une ordure fasciste, et vous avez raison, mais moi, Natacha, la seule chose dont je sois certain, encore une fois, dans cette piaule sordide, entre mon GP35 et mon iphone, c'est qu'un petit garçon est mort, ce 12 décembre-là, et que ce petit garçon, c'était moi, Natacha.
.../..."
extrait de: Le Bloc-Jérome Leroy-


 source: Toile
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