dimanche 17 mars 2019

horizons mouvants






"J'aime le mot "croire". En général, quand on dit "je sais", on ne sait pas, on croit. Je crois que l'art est la seule forme d'activité par laquelle l'homme en tant que tel se manifeste comme véritable individu. Par elle seule il peut dépasser le stade animal parce que l'art est un débouché sur des régions où ne dominent ni le temps ni l'espace. Vivre, c'est croire ; c'est du moins ce que je crois."
Marcel Duchamp






                                                  GIF source: Toile


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"Tu marches dans la rue,
celle-ci, pas une autre.
La tempête vient de loin,
 soulève un coeur qui tourne,
 attrape une rêverie sommaire
qui pourtant tient 

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photo: Source
 
"alors, lis pour moi !
l’irrésistible pulsation
des voyelles,
la phrase pliée
aux orbites
des comètes


lis pour moi
jusqu'au lever du soleil
quand la lumière
devient plus réelle
que l’eau salée
de l’oubli"
Elis Podnar-"Quod Manet" 

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"Ayant essayé d’adopter, un certain temps, un genre de vie normal, j’en ressentis bien vite les tristes effets dans mon âme et dans mon corps et je décidai de reprendre, avant qu’il fût trop tard, une existence déraisonnable. À présent, je me suis remis à contempler le monde de ce regard voilé qui permet non seulement d’ignorer la réalité des maux terrestres, mais aussi de se faire mainte illusion sur les jouissances que la vie pourrait nous offrir à l’occasion. C’est un sain principe que de vivre, dans un monde à l’envers, à l’envers du monde et j’en ai éprouvé, à tous égards, les bons effets sur moi-même. Tout comme n’importe qui, j’ai accompli le tour de force de me lever avec le soleil et de me coucher en même temps que lui. Mais l’objectivité insupportable avec laquelle il éclaire, sans distinction de personne, tous mes concitoyens, toutes les laideurs, toutes les difformités, n’est pas du goût de chacun et celui qui s’arrange pour échapper à temps au danger et refuse d’ouvrir tout grand ses yeux quand le jour se lève sur cette terre, celui-là agit sagement et il a, ce faisant, la satisfaction d’être évité par tous ceux que lui-même évite; Autrefois, lorsque les deux moitiés du jour étaient le matin et le soir, c’était plaisir de se lever au chant du coq et de se coucher au cri du veilleur de nuit. Mais une autre division remplaça la première et l’on eut le journal du matin et le journal du soir, et le monde se mit à l’affût des événements. Lorsqu’on voit, les ayant considérés un certain temps, ces événements s’humilier, avec quelle impudeur ! devant la curiosité, et leurs cours épouser lâchement les besoins sans cesse accrus de l’information, et le temps et l’espace devenir, en fin de compte, les formes de la connaissance journalistique – alors on se couche sur l’autre oreille et l’on se rendort. « Profitez, mes yeux las, du privilège qui vous a été accordé de ne pas contempler le séjour de l’infamie ! ».
C’est pourquoi mon sommeil se prolonge fort avant dans la journée. Et quand je me réveille, j’étale devant moi toute cette honte imprimée de l’humanité pour apprendre ce que j’ai manqué en dormant. Alors, je suis heureux. La bêtise se lève tôt, c’est pourquoi les événements ont coutume de se produire le matin. Bien sûr, il peut encore arriver plus d’une chose jusqu’au soir, mais de façon générale, l’après-midi ne manifeste pas cette agitation tapageuse par laquelle le progrès humain tient à l’honneur de soutenir sa réputation jusqu’à l’heure de la pitance. Un vrai meunier ne s’éveille que si le moulin s’arrête et moi, n’ayant rien de commun avec cette humanité pour laquelle être signifie être de la partie, je me lève tard. Ensuite, je m’en vais me promener sur les boulevards et je vois les préparatifs qu’on y fait en vue d’un cortège.
Pendant quatre semaines, c’est un vacarme retentissant, une symphonie sur le thème de l’argent qui remplira les poches. L’humanité prend des mesures pour une fête, les charpentiers élèvent à la fois des tribunes et les prix et, quand je songe que je ne verrai rien de ces splendeurs, alors mon cœur déborde aussi et bat plus fort. Si je menais encore une existence normale, je serais forcé de partir en voyage, à cause du cortège, tandis que je peux rester : je ne verrai quand même rien du tout. Un vieux roi, dans Shakespeare, impose silence en ces termes : « Ne faites pas de bruit, ne faites pas de bruit ; fermez les rideaux ! nous souperons le matin. » Un fou confirme ainsi le bouleversement de l’ordre universel : « Et j’irai me coucher à midi. » Moi, qui prends mon petit-déjeuner le soir, j’aurai des nouvelles du cortège quand tout sera fini et c’est par les journaux que j’apprendrai, tout à mon aise, le nombre des insolations.
Puisque l’espace interplanétaire a été converti en chronique locale, tirons le meilleur parti possible de cette transformation, utilisons ce procédé qui, sous forme de journal, met les jours en conserve. Le monde a bien enlaidi depuis qu’il se regarde matin et soir dans une glace ; aussi sommes-nous assez sages de nous contenter du reflet et de renoncer à considérer l’original. Il est réconfortant de perdre la croyance en une réalité telle que nous la dépeignent les journaux. Celui qui perd à dormir la moitié du jour gagne la moitié de la vie.
Cependant, si l’un des agréments de la vie consiste à oublier, en dormant, combien elle est désagréable, je dois reconnaître qu’il est un domaine où mon système ne sert à rien : celui des arts. Une vieille expérience nous apprend en effet que les fours se produisent surtout le soir. En revanche, tous les services publics chôment la nuit. Rien ne bouge. Il ne se passe rien. Seule, la balayeuse municipale, symbole du monde à l’envers, passe dans les rues et y étale la poussière laissée par le jour. S’il pleut, l’arroseuse vient derrière. Au demeurant, le calme règne, la bêtise dort – et je me mets au travail. Au loin, on croit entendre le bruit des presses à imprimer; la bêtise ronfle. Et je m’approche à pas de loup animé des intentions criminelles dont je trouve moyen de tirer du plaisir. Quand, à l’horizon de la société civilisée, parait le premier journal du matin, je vais me coucher … Tels sont les avantages de la vie à l’envers.
K. KRAUS. (« Eloge de la vie a l’envers. » In Cahiers humains, Goblot, Germaine, Paris, Verbe I, No. 4/6, 1928.)
source: "Temps contraires" 

    photo: Ragnar Axelsson

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poésies & arts dans les monts d’Arrée / du 18 au 22 avril 2019 






 

rose le manteau de la mer


"Notre ciel connait deux saisons,
la rieuse et la morne.
Le ciel recommence ce soir.

Les prêtres- ces vieillards-
nous ont conviés
à rallumer les astres.

Sur place donc que chacun
embrase un feu devant sa porte
assis en cercle sur des pierres,
nous vieillirons ensemble.

L'avenir est inscrit dans la cendre.
Laissez les statues de brouillard
se défaire dans la bruine."
Jean Malrieu






"Il est des mots qui jamais ne renoncent.
Des mots toujours fervents. Rarement érodés.
Des mots droit devant, par-delà l’encoignure des siècles.
Des mots d’entrain, d’élan, de vie.
Des mots tocsins qui se jouent des tourments.
Des mots de plein cœur qui battent dans le sang.
Des mots de plein vent qui affolent les voiles.
Des mots qui enjoignent, qui affament et ravissent. Des mots jamais avares.
Des mots toujours brûlants. Des mots à la hauteur des temps.
L’ardeur est de ceux-là dont l’énergie durable peut se dire dans toutes les langues de la terre.
.../..."
Sophie Noleau-extrait de: "L'ardeur" le Printemps des Poètes







LE POEME COMME COMBAT INTERIEUR

L’affrontement est partout, pour le poète. Autour de lui, à l’intérieur de lui, quelque chose existe qui le réprime ou qui l’étouffe, et dont il faut avoir raison. Quelque chose qu’il faut briser, ou charmer, ou encore délivrer. (Dans le mythe grec, on jette des gâteaux de miel, on endort par la musique les monstres qui interdisent l’accès des portails profonds.) Il y a toujours cet adversaire anonyme qui fait obstacle à la bouche qui prononce, ce vide qui cherche à s’emparer des mots au fur et à mesure qu’ils naissent. Il y a des frontières qui doivent être forcées, des intensités qui doivent être gagnées sur le froid et sur l’indifférence, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Et il faut forcer les défenses de ces réalités sauvages dont nous cherchons l’amitié…
L’affrontement est partout. Son terme extrême est la tension héroïque. Mais l’affrontement n’est-il pas déjà engagé dès les premiers mouvements de la poésie et les plus simples linéments du chant, là même où nulle ambition « supérieure » ne cherche à se déployer ? Dès l’instant où le poète accueille le premier appel intérieur qui demande à se faire jour en une voix, dès le premier tressaillement de la parole, il doit savoir surmonter toutes les puissances qui répriment la montée du chant, il doit venir à bout de ce mutisme qui s’oppose au jaillissement des mots, délivrer l’essor des images de toutes les inerties qui le freinent. Le chant le plus ingénu, la ligne mélodique la plus humble n’existe jamais qu’au prix d’une victoire toujours menacée sur une « matière » adverse qui lui résiste. C’est dans cette matière avare et nulle que le poème se grave, c’est en elle qu’il mord — comme s’il devait être une entaille de feu sur un bloc de nuit ou de néant massif. Il faut à la parole ce négatif qui la fait exister en la repoussant : ainsi peut-elle nous devenir visible, détachée sur ce qui la refusait et la nie — la lettre noire sur le blanc de la page. Cette résistance muette est l’authentique support du poème ; et, comme les figures sur l’écran, les mots viennent se former sur cette impénétrable et légère opacité qu’on dirait faite avec la cendre de toutes les paroles perdues…
Il y a là quelque chose d’insaisissable qui prend consistance pour s’opposer au chant, une limite qui se reforme toujours plus loin à mesure que l’on croit la dépasser. Seule peut-être la surmonte le silence que le poème crée pour s’y absorber, ce silence d’après les mots dont nous poursuivons en pensée la victoire… Mais les enfers (ou les cieux) sont toujours plus vastes que le champ d’Orphée. Une aire inviolée cercle les plus hautes paroles. Leur propulsion dans l’espace spirituel ne les conduira pas plus loin (pour cette fois du moins). Mais là où meurt la dernière vague du champ, devant cette grève à jamais étrangère qu’elle n’a plus la force d’envahir, là où le chant s’éteint face à ce qui ne lui appartient plus, là où il rencontre « l’autre » irréductible — là où se trouvent les vraies frontières de la poésie, la ligne idéale qui trace le visage d’un poète. L’insurmontable est tendu sur sa face et en prend l’effigie comme un voile de Véronique. Le portrait du poète est aux confins de son chant ; pour nous, cette limite demeure secrète. Y a-t-il jamais rien qui s’achève définitivement ? Le futur ne demeure-t-il pas ouvert à cette musique qui grandit comme un arbre dans la liberté du ciel ? Car il est vrai que les grandes œuvres ont le don de croître ainsi dans le temps, alors même que la main qui les a formées s’est glacée.
Extrait de La Beauté du monde. La littérature et les arts, édition établie sous la direction de Martin Rueff, Gallimard, coll. « Quarto », Paris, 2016.
Jean Starobinski

                                                                      
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"Nous sommes nos montagnes"






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Pudeur de gabier
à attendre
pour mettre les voiles
en sortant.
 Ainsi conjuguer avec le vent;
l'intimité du marin
et le flot favorable. 

Des émotions
que l'on ne partagera jamais
avec ceux de la terre.

Entre haubans et cordages,
l'instabilité comme évangile
et 
l'équilibre pour règle.






                                               photo: source




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