samedi 19 juillet 2014

jour d'escale


Même la  toute première fois
elle m'a rappelé quelque chose.

Ici,
je ne serais donc pas dans l'inconnu,
et plus encore qu'une mise en scène
il y avait dans cette ville comme un parfum, une ambiance...
une ressemblance certaine avec mon port d'attache
du bout de Loire.
Ces deux villes  passaient  sans complexe du rire au larmes
Elles avaient des histoires croisées
et
la pudeur de blessures profondes.

Elles ne se laissaient pas facilement apprivoiser.

Et puis,
 derrière la façade que certains auraient qualifié sans doute et au mieux... d'austère
en grattant la  rouille de surface on découvrait  un charme fou ,
une vérité authentique brassée à l'écume de mer,
et l'oxygène des vraies libertés
-d'espace et de temps-

Comme une petite musique aussi 
enveloppée d'éclairs
ce grondement au lointain
en approchant des haubans de l'Iroise.
... ptêt pas ça le fameux " Tonnerre de Brest"
mais en tout cas ...
 drôlement canon.

Et puis, crois moi si tu veux.
A la terrasse d'un bistrot, tout en bas de la rue Jean-Jaurès
face au gros cul néo stal. municipal
il faisait bien 25 degrés à l'heure de l'apéro
ce jeudi là chez  Charlotte.

Brest canicule en somme.









"Des rafales de grêle froide contre les containers
Quand t'entends des caisses claires ?
Et des coups de pelle des chantiers dans le sable de mer
Mais qu'est-ce qu'il t'arrive, c'est Brest-même

Et si la nuit est si forte comme à pousser la porte
Que c'est le café tout entier
Qui s'est mis à cracher sa fumée sous les lampadaires
des ... du quai Malbert ?
Va pas chialer ça délave tout
Tiens voilà mon mouchoir
Va pas chialer ça délave tout
Dis-toi « Brest m'aime »

Ton beau sous-marinier d'amour tu l'as noyé dans la bière
Tu peux te marrer, t'en es fière
Transi sous la pluie rue de Siam, tu l'as tant attendu
Jamais, jamais il n'est venu

Et t'as toujours le mal du monde et toujours le mal de mer
T'as le mal d'amour à l'équerre

Va pas chialer ça délave tout
Tiens voilà mon mouchoir
Va pas chialer ça délave tout
Dis-toi « Brest m'aime »

Va pas chialer ça délave tout
Tiens voilà mon mouchoir
Va pas chialer ça délave tout
Dis-toi « Brest m'aime »

Oui, le brouillard est bien trop rose dans les reflets du port
Morose est la nuit dehors
Et t'as comme un arsenal au ventre et dans le fond de ton cœur
La distorse de Rory Gallagher


Quatre ou cinq heures du matin et tu crois encore entendre sa voix
Ou celle d'un vieil ange de bistrot
Mais c'est l'écho lancinant d'un remorqueur qui te ramène ton cœur
Un amour à couper au couteau

Car entre se tailler et se foutre à l'eau, en toi, c'est la querelle
Le jour préchauffe au diesel ?
Être ou n'être plus que de la pluie sur tes tes ailes
Enfin ne plus être à l'équerre

Va pas chialer ça délave tout
Tiens voilà mon mouchoir
Va pas chialer ça délave tout
Dis-toi « Brest m'aime »

Va pas chialer ça délave tout
Tiens voilà mon mouchoir
Va pas chialer ça délave tout
Dis-toi « Brest m'aime »
-Mélaine Favennec-







"Entre donc à Brest d'un pas léger, sans exhiber ton passeport, sans justifier ta raison d'être, sans excuser tes attaches exogènes. Tu es bienvenu, surtout si tu es capable, le soir tombant, de partager le blanc frais, chez Phi Phi, aux Quatre vents, accoudé dans la cohue, et de ne pas t'étonner qu'en ces lieux et à cette heure, le patron et le docker, le député et l'électeur, le matelot et son officier, le militaire et le civil, le médecin et le patient, le franc maçon et le curé, sans oublier le flic et le voleur ni la femme et l'amant (c'est le mari qui régale), se tutoient le temps d'une tournée, voire le temps de la tournée suivante, éventuellement le temps de celle d'après, gueulant fort, gueulant contradictoire, mais gueulant en choeur."
-Hervé Hamon-




".../...
Le pays dont je me réclame, dont je suis excessivement absent, n'est pas (uniquement) un berceau ni une matrice.
C'est une côte.
C'est un fragment de terre que la mer dessine, creuse et modifie.
C'est une zone de contact, tout à l'inverse d'un camp retranché où l'on serait, enfin, entre soi

.../..."
-Hervé Hamon- extrait de: "Besoin de mer"




".../...
Pas de doute, c'est la nuit que la tempête est magistrale. Parce qu'on n'a ni le temps ni le pouvoir de calculer son élan - la déferlante est là, on ne l'a pas devinée. Parce qu'on danse un bandeau sur les yeux, parce que l'ouïe reste en dernière instance le témoin du monde et de ses ténèbres. A une exception près, peut-être : par moments, la nuit, on voit le vent. Quand tout n'est plus qu'un chaos brouillé, quand l'obscur chevauche l'obscur, une fumée de sel se déchire en tournoyant : c'est le vent qui se montre. 
.../..."
Hervé Hamon- extrait de "l'abeille d'Ouessant"-













".../...
C'est bizarre, la mer, la façon dont on en parle. On vous raconte des histoires formidables, des naufrages, des requins sanguinaires, des vagues scélérates et tout le tintouin. Mais les.marchands de mer, eux, ils vous refilent des couchers de soleil, du sable blanc et des petits poissons colorés qui ne vous veulent aucun mal. Vous êtes quoi, vous, dans le fond ? Des marins ou des marchands de mer ?
Des marchands de soupe, ricana Be Bop

.../...."
Hervé Hamon extrait de "Paquebot"



mercredi 16 juillet 2014

d'un autre côté


"Le 24e jour du 5e mois de la 13e année de Yongheng ( 14 juillet 1735), Zhang Banqiao, lettre à son frère cadet Mo, du monastère Biefeng sur le Jiaoshan, un jour de pluie et de désoeuvrement:
Jadis Ouyang Yngshu, qui travaillait à la Bibliothèque Impériale, y découvrit des milliers et des dizaines de milliers de rouleaux, tous moisis, pourris, et irrémédiablement perdus. Il y avait aussi plusieurs dizaines de rouleaux de catalogues, qui s'en allaient également en pourriture, et dont il ne subsistait que quelques rouleaux . il regarda les noms des auteurs : il n'en connaissait aucun; il regarda les titres des livres: il n'en avait jamais vu aucun. Or le maître Ou n'était rien moins qu'ignorant, et pour qu'un livre fût rangé dans la Bibliothèque Impériale, il fallait bien qu'il ne fût pas l'oeuvre d'un inconnu."

Lorsqu'il avait lu ces quelques lignes dans un recueil que lui avait prêté Mariana, Eugénio avait pris la décision de ne plus écrire (" de ne pas participer à cette inflation ridicule", avait-il d'abord pensé, lui qui n'avait publié qu'un livre de poésies et un ensemble de nouvelles qui s'étaient vendus respectivement à cent trente-deux et trois cent treize exemplaires) et jeté les bribes de manuscrits qui étaient en cours de rédaction. Pour plus de sûreté, il avait mis aussi les dossiers et fichiers que contenait son Mac à la corbeille, et l'avait vidée. ensuite il s'était dit que s''il ne pouvait plus récupérer les dossiers du Mac, il était encore possible, dans un accès de remords imbécile, de sauver les feuilles froissées dans la poubelle. Aussi il les avait extirpées, avait sorti le tout dans le jardin et y avait mis le feu, ainsi qu'au tas de branches coupées qui attendait là depuis plusieurs semaines. De toute façon, avait-il pensé, rien n'est achevé, rien ne l'aurait été, rien ne le sera. Je ferais mieux de consacrer mes loisirs au jardinage, j'en tirerai plus de satisfaction et plus de résultats.
Alors il s'était senti neuf et soulagé. Un monde paisible s'ouvrait devant lui, un monde exclusivement fait d'activités saines et domestiques, d'articles pas trop compliqués à écrire pour la page culturelle de
La Voix du Sud - il comptait d'ailleurs demander à son directeur de ne réaliser à partir d'aujourd'hui que des entretiens, et plus aucun article de fond, afin de ne plus se laisser tenter par le vieux démon littéraire-, et de tendres câlins le week-end avec Mariana. J'ai maintenant quarante et un ans, lui avait- il expliqué le soir même , c'est l'âge où Kafka est mort. Je prends cela comme le signe qu'à présent il est trop tard pour moi. il faut savoir renoncer. Et puis il y avait bien assez de livres comme ça. Mariana était totalement abasourdie. Elle lui avait rétorqué qu'à quarante et un ans, Kafka lui aussi avait voulu détruire ses textes non publiés, et qu'heureusement Max Brod n'en avait rien fait. Mais l'argument n'avait pas réussi à ébranler Eugénio. De toute façon il est trop tard, avait-il conclu en l'embrassant.
En regardant le tas de feuilles s'évanouir en fumée dans l'air bleu, Eugénio avait aussi éprouvé quelque chose qui ressemblait à un très bref sentiment de bonheur-simplement, s'était-il dit, parce que cette fumée-là était le fruit d'une décision. Eugénio avait toujours éprouvé beaucoup de mal à prendre une décision, à tel point qu'il s'était parfois demandé comment Mariana, elle si énergique, pouvait le supporter. un point de vue ne lui paraissait jamais vraiment meilleur qu'un autre, ni une résolution que son contraire. il souffrait d'une étrange passivité, une indécision fondamentale qui nuisait parfois aux bonnes relations avec son entourage, car on le considérait alors comme obtus, ou arrogant, ou hautainement clos en lui-même au point d'être incapable de s'intéresser à quoi que ce soit. Il s'agissait à la vérité d'une irrésolution première, constitutive de sa personnalité, qui lui interdisait généralement de prendre parti, car tout bien pesé, se disait-il, n'importe quel choix était aussi justifiable, ou aussi peu, que le choix inverse; Mariana était la première femme qui semblait s'accommoder de cette carence.
Le lendemain à huit heures le téléphone sonnait. Le menton dans les mains, Eugénio était en train d'observer rêveusement les volutes du café au-dessus de son bol en pensant, lui qui entre vingt et trente ans avait tant aimé voyager, que les voyages au bout du compte ne servaient à rien, qu'on ne transportait avec soi jamais autre chose que soi-même, avec les mêmes problèmes, les mêmes imperfections et les mêmes angoisses, que le plus loin où l'on puisse se rendre à partir d'un point donné était précisément, une fois accompli le tour de la planète, ce point, et qu'il valait mieux, tout bien considéré, ne pas en bouger, ce qui évitait d'avoir à y revenir. C'était sa deuxième grande résolution.
au bout de quelques sonneries, Eugénio alla décrocher. C'était Marie-Sophie, la secrétaire du journal, qui lui annonçait qu'à neuf heures précises il avait rendez-vous avec le directeur, Marc de Choisy-Legrand. Elle n'en savait pas plus. Eugénio comme à l'accoutumée la taquina un peu, et plaisanta sur le compte de Choisy-Legrand, un homme obèse et transpirant qui aimait, en autre, la cuisine chinoise et l'opéra italien. Lors de repas un peu débraillés, il était capable de chanter tout à trac l'air de "Un di, félice", de La Traviata- un ton plus bas qu'Alfredo Kraus, bien sûr ( pour lui le meilleur interprète qu'il y eût, du moins pour cet opéra-là), mais avec beaucoup de conviction et presque brillamment. S'il était très en forme, il pouvait même enchaîner d'une voix de fausset sur la réponse de la Callas-Violetta, mais pour cela il fallait qu'il ait un peu bu. Hormis ces quelques fantaisies, assez rares malgré tout, Choisiy-Legrand était un homme austère et scrupuleux, qui lorsqu'il était dans son bureau ne riait jamais et souriait rarement, un directeur exigeant qui ne sacrifiait jamais sa conception de l'éthique journalistique à la promesse de ventes supplémentaires, ce qui était tout à son honneur. Son obésité      était la conséquence ou la source de nombreux problèmes de santé. Eugénio n'avait jamais très bien su lesquels, qui l'obligeaient parfois à s'absenter plusieurs jours pour recueillir des soins en clinique spécialisée.
italien d'origine, Eugénio ne connaissait rien à l'opéra italien. Dans le taxi qui l'emmenait vers le siège du journal au coeur du quartier neuf et impersonnel de Bonneveine, il se demandait pourquoi il n'osait jamais avouer que l'opéra, et surtout l'opéra italien, l'agaçait au plus haut point, qu'hormis Bach, Fauré, quelques trios de Brahms et parfois Mozart, la musique classique l'ennuyait terriblement, et quand au jazz, il considérait à de rares exceptions près que cela pouvait être agréable à écouter pendant qu'on faisait les courses, mais pas plus. il avait pourtant essayé, avait écouté des dizaines et des dizaines de disques, assisté à des concerts, et possédait du fait une assez bonne connaissance de la musique classique, assez en tout cas pour ne pas être ridicule lors de conversations entre lettrés ou gens cultivés, mais tout cela sans passion, sans grand intérêt. Pourquoi n'avouait-il jamais qu'il aimait surtout les chansons, et surtout les chansons un peu ridicules ou sentimentales, les ritournelles populaires? il lui fallait vaincre cette honte déplacée. D'ailleurs Deleuze lui même souligne l'importance des ritournelles, pensa-t-il, leur rôle d'accompagnement. C'est la période des grandes décisions; à présent, je dois revendiquer ma culture populaire. C'était sa troisième grande résolution."
Christian Garcin- extrait de: "Le vol du pigeon voyageur"Editions folio









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