mercredi 7 août 2013

massifs armoricains


"Soif d'avoir soif.

Et l'eau bue jusqu'à la cécité bleue
des océans érigés en écritoire.

Et l'abondance des mots, à blanc,
jusqu'à l'à-pic dérisoire des pages nues.

Ne rien écrire qui ne soit vu.
Ne rien dire qui n'ait été écrit.

Alors, dans ce silence à couper au regard,
s'abreuver
aux seuls chemins qui refusent
et s'insoumettre
à l'ordre des choses.

Alors encore, d'immobilisme
renverser le paysage,
se hisser à l'écume des houles annonciatrices
des jours mourants.

La chute d'une hirondelle
n'empêchera pas le retour du printemps."




"J'ai détissé le temps
et dépossédé mes rêves
de leurs rêves de transhumance.

Fallait-il
jusqu'à l'arête faîtière
éconduire le regard?"



"J'ai érodé les pierres
pour percevoir mon nom.

On ne survit qu'à force de racines.

Naître en amont de l'eau.
N'être.


Il faut se crever les yeux
pour boire le regard des ancêtres."



"CRI.-

Je n'ai plus de voix mais je crie.

Une poignée de terre
en main.
En mon poing,
un bourgeon à ouvrir.

J'ai rêvé la terre rêvant l'homme.

Dit ainsi, je sais que dans les méandres du jour
la terre se décourage chaque heure davantage. 
Et pourtant ce besoin...

Aube: et rien.


et rien ne me chassera.
Pa même le silence.

Alors:
ou envahir ou habiter la lumière.
Ou bien ou bien.
Toujours l'alternative mais
brûler dans la chair des mots en délire."


extraits de:"L'aride des jours"
Jean-Claude Izzo-Catherine Bouretz-
-Les Editions du Ricochet-


lundi 5 août 2013

ouvrir des guillemets




OUVRIR DES GUILLEMETS

"A quoi il a pensé le premier homme qui a vu l'océan?
il avait déjà vu les montagnes, les forêts et les plaines...
mais l'océan...
il a peut-être essayé de marcher dessus pour se rendre compte de quoi l'océan était fait. il pouvait marcher sur tout, la terre, le sable, la neige, les rochers, alors pourquoi pas sur l'océan?


Ses pieds ont traversé la surface de l'eau et il a dû paniquer.
il ne devait pas savoir nager dans les rouleaux. Qui aurait pu lui apprendre puisque c'était lui, le premier homme à voir l'océan ?
il avait peut-être appris à franchir des rivières à gué, à barboter dans un étang, une mare ou une anse de lac, mais l'océan, c'était autrement plus balèze...

il est peut-être mort noyé, le premier homme qui a vu l'océan. il a peut-être plongé en hurlant le nom de sa femme, et il s'est fait happer par une vague. Tandis que l'eau entrait dans ses poumons et que l'air expiré faisait un nuage de bulle autour de lui, à quoi a-t-il pensé?
Il a prié?
Et ses prières étaient adressées à qui?
Il savait qu'un gars allait inventer les dieux, ou ça avait déjà été fait?
A-t-il vu sa vie défiler?
On peut voir sa vie défiler, sous l'eau, quand on a les yeux fermés?

Ou alors, il n'est pas mort...

La miséricorde l'a rabattu sur la plage par la grâce d'une vague charitable. il a craché de l'eau salée, il a retrouvé ses esprits, réfléchi à ce qu'il venait de lui arriver, et après il a eu peur de la mer;


Une peur bleue.
Bleue comme le ciel.
Bleue comme l'océan.
Bleue comme le sang, quand il coule sous la peau.

Il a essayé de dompter les rivières pour se faire la main:
il a construit des ponts de liane, inventé des pièges pour capturer les truites et les saumons. Mais l'océan, il a refusé de s'y recoller.

C'est le deuxième homme qui a vu l'océan qui a assemblé trois bouts de bois pour en  faire un radeau, pour naviguer d'une île à une autre en restant à la surface sans avoir à se retrouver nez à nez avec le faciès inexpressif d'un mérou.

Quand le deuxième homme qui a vu l'océan a posé le pied sur une ile vierge pour la première fois, à quoi a-t-il pensé?
S'est-il assis sur le sable pour contempler, de l'autre côté de l'eau, les rivages qu'il venait de quitter? A t-il parlé à quelqu'un de son triomphe?
A personne sans doute, puisque l'îlot était vierge...
Savait-il seulement parler?
S'est-il rendu compte qu'il venait d'inventer le voyage par-delà les océans et, qu'avec lui, il venait de créer l'exil?
.../..."
















".../...Je pensais à ça, un peu à l'écart de toute la troupe, le cul rivé à un caillou tandis que, depuis des heures, un juke-box planqué dans mon cerveau jouait en boucle The Thrill Is Gone (Chet Baker Sings-Pacific Jazz Records-PJ-1222)...
Chet Baker, de sa voix d'enfant triste, s'y lamentait sur la perte du frisson, ce petit tremblement de l'âme, qui fait qu'on se sent acteur de son existence, et pas simplement spectateur d'une pièce qu'on n'aurait pas écrite..."

-Arnaud Le Guilcher- extraits de : "Pile entre deux" Stéphane Million Editeur-



Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...