"1h
du matin, on se les gèle dans la voiture garée près d’une intersection
d’autoroutes. Derrière nous enfin : des phares. On monte dans le bus, on
salue la compagnie, on se cale sur les sièges et c’est parti pour une
nuit de sommeil haché. A 3h c’est pause pipi dans les locaux de la conf’
paysanne, on resterait bien. Mais on préfère en embarquer avec nous et
le voyage se poursuit. A 8h le bus arrive à Notre-Dame-des-Landes, je
frissonne, c’est que j’en ai entendu parler de ce bled ! Les gens
arrivent petit à petit. Les tracteurs arborent fièrement un tournesol à
leur proue. Tiens, Greenpeace est là, avec un gros ballon jaune. Et les
petites rues du village se remplissent. On se mettra pas en branle avant
11h. Un petit poste juché sur un tracteur diffuse radio Klaxon, la
radio pirate des zadistes qui émet sur 107.7, la fréquence de Vinci.
Comme un joli pied de nez. On y entend un message de soutien du Mexique.
La sensation de faire partie d’une seule lutte mondiale s’intensifie.
Il
y a de tout ici : des anars, des autonomes, des écolos, des paysans,
des membres de partis ou syndicats, des vieilles, des vieux, des jeunes,
des clowns. Des orchestres improvisés qui entonnent des airs rythmés.
Une chorale de gamins hauts comme trois pommes qui défient Ayrault dans
leurs paroles, et ils y mettent du cœur s’il vous plait ! De l’art
partout : des tags sur le bitume, sur les panneaux de signalisation, sur
les murs des vieilles fermes. Des épouvantails aux formes étranges qui
portent des slogans tous plus touchants les uns que les autres se
dressent sur les bords de la route. Et la foule immense se déploie en un
long ruban sous nos yeux ravis : ce qu’on est nombreux ! Plusieurs
kilomètres avant d’arriver à la Zone A Défendre (ZAD), pendant lesquels
on jouit du paysage. C’est que le bocage s’est paré pour nous recevoir,
il a enfilé ses plus beaux atours automnaux. Des prairies, des arbres
magnifiques, des haies dans tous les sens. Et des ruisseaux d’eau vive
qui coulent sous nos pieds, passant sous la route à droite et ressortant
à gauche, se faufilant dans la zone humide.
La Vache Rit enfin,
dans la ZAD. Une ferme autogérée. Un petit concert s’est improvisé sur
des bottes de paille. Je traverse un grand espace grouillant de légumes
et de gens, et j’arrive dans une petite pièce. Sur la table un plan :
celui de l’aéroport qu’ils veulent construire. Et on m’explique leur
projet, en détail. La corruption qui suinte. Ca fait bouillir un truc,
là, dans mon ventre. Une rage qui me fait repartir sur la route, sous la
pluie fine qui commence, pour aller au cœur de la ZAD. Dans un pré, des
clowns jouent aux CRS et nous bombardent de mottes de terres. Ah les
cons, ils ont failli m’avoir. On passe la superbe forêt de Rohanne où
les cabanes des résistants ont été détruites récemment. Encore un peu de
route et on arrive dans un immense pré. Au milieu, un chapiteau de
cirque vient d’être dressé. Des tentes, des cabanes. Je bois une
délicieuse soupe courge-curry-coco bio servie par des zadistes puis
rejoins, à travers les bois, d’interminables chaînes humaines qui se
passent des planches, des palettes, des seaux. On sue, on parle, on
chante, on rit. D’un côté les remorques se déchargent, de l’autre ça
cloue, ça assemble. Des toilettes sèches poussent comme des champignons.
Au cœur de la forêt, des maisons en bois s’élèvent sous mes yeux
embués. On se regarde les uns les autres, émus. La solidarité ? Elle est
là, devant nous. L’Humain ? Il n’y a que ça ici.
« Trop de monde
sur ce chantier, allez-voir plus loin ! ». On est des centaines à
courir d’un côté à l’autre, d’une remorque à l’autre, proposer notre
aide. On se parle, on crée des liens, très vite, très forts. On échange
quelques mots, une blague, un sourire, de l’émotion. Je porte une lourde
palette avec une fille. Des clowns nous balancent des confettis. Entre
deux tracteurs, un petit orchestre : « Allez, les filles, en dansant !
». Alors on se trémousse sur leur mélodie, en faisant gaffe de pas
glisser dans la boue avec la palette. Pendant une pause bien méritée, je
m’interroge. Que se passe-t-il ici ? Que faisons-nous ? Pas besoin de
trop intellectualiser, ça crève les yeux : on fait émerger un autre
monde. Dans les marges de leur monde pourri, de leur monde mort, un
monde joyeux, fraternel et humain est là. Ouvrez le moindre espace, vous
le verrez jaillir. J’en chialerais. Les slogans, les citations, qui
fleurissent partout dans la ZAD sont clairs : l’ennemi est identifié.
C’est tout le système qui est remis en cause. Toutes les générations
sont là. Enormément de jeunes, prêts à prendre la relève des anciens du
Larzac et d’ailleurs. Sur une large banderole « NON à l’aéroport et à
son monde ». C’est bien de ça qu’il s’agit. A Notre-Dame-des-Landes, on
renoue avec les passions joyeuses. On se bat pour de la terre, pour des
légumes, pour des animaux et des arbres. Bref : on se bat pour la Vie."
Source: LE BLOG D'EMMANUELLE-
L'ENNEMI DANS LA NASSE
"Ce n'est pas toujours facile
de réduire l'humain
à un container
hermétiquement clos
duquel ne s'échappe
ni cri
ni surtout
si mince soit-il
un filet de sang
même pour un ministre
avec ses escouades de purgeurs spécialisés
avec ses journalistes assermentés qui regardent
ailleurs
c'est un problème
ces cubes qui se déforment dans le temps
deux faces qui se rapprochent
forment un angle de plus en plus aigu
l'arête est de plus en plus vive
de plus en plus tranchante
c'est dommage
pour une carrière politique
ces lames qui pourraient
un jour
ébrécher un profil présidentiel."
-Bernard Ascal-
proposé par Philippe: