[L’avant-guerre]
"J'ai étudié longtemps, très longtemps, brillamment, très brillamment, si brillamment qu’au bout du compte, cela m’a enseigné une vérité absolue : je n’étais pas fait pour le métier auquel je m’étais destiné, n’en avais aucune envie. Alors, j’en ai exercé d’autres, ici, ailleurs, quantité, et comme bien sûr, je n’étais pas davantage fait pour eux qu’ils étaient faits pour moi, cela m’a conduit au sommet de la pyramide des institutions publiques. Cela a fait de moi un être privilégié, d’ailleurs c’est bien simple, même si je les partage avec beaucoup, j’hésite à vous avouer les avantages qui sont miens. J’en éprouve même un peu de honte J’œuvre pour un consortium gigantesque, un consortium qui jamais ne délocalisera, qui jamais pour des questions de coût, n’ira chercher main-d’œuvre ailleurs, et qui, par-dessus le marché, me laisse du temps libre, plein. Je suis de l’élite commune. De temps à autre, je signale au consortium que je suis toujours en son sein, au moyen de mon choix, je pointe présent : courriel, courrier, téléphone… Tout est bon, le consortium n’est pas très regardant. J’ai la belle vie. Celle d’un chômeur. Évidemment, ça n’a pas non plus que des avantages, dire que je suis bien payé serait un mensonge, sans parler que l’ancienneté n’est pas prise en compte, ce serait même plutôt l’inverse, et puis, comme tous ceux du consortium, je suis chassé par la concurrence « rue ». Faut que je fasse gaffe, la rue sans cesse recrute, sans cesse embauche, peut un de ces quatre me refourguer un chien, un litron de rouge et un bout de son trottoir, le tout joliment emballé dans un contrat à durée indéterminé. J’ai la belle vie dangereuse Et du temps libre, donc. Pour pallier la générosité déclinante du consortium, pour contrer les propositions de la rue et pour quelques billets, je débarde trois jours par semaine chez un grossiste du coin. Jusqu’aux premières lueurs de l’aube, je vide les camions de leurs denrées fruitières en cageots, cagettes et autres caisses. Je joue du chariot comme personne : j’ai le diable au corps moi. Le diable au corps. Elle est bien bonne ! Et pendant mon temps libre, je joue des mots."
Extrait de "Babylone sous les bombes" un roman de Stéphane Mariesté- Editions Intervista-
ah, je sais pas si j'ai envie, celui-là...
RépondreSupprimerpas mal le style une puissance colossale d'humour et comme disait freud l'humour existe quand le principe de plaisir n'est plus
RépondreSupprimermerci jean jacques
C'est un ptit bouquin acide, drôle, malicieux... (collant bien avec mon humeur du moment...) dans lequel toute ressemblance avec une histoire connue est tout sauf fortuite.
RépondreSupprimeren "avant scène" on peut y trouver cette phrase de Julien Green:
"Notre vie est un livre qui s'écrit tout seul. Nous sommes des personnages de roman qui ne comprennent pas toujours bien ce que veut l'auteur."
Belle soirée à vous
;-)