lundi 29 mai 2023

un chien de l'enfer


"Elle était tombée amoureuse. D'un homme au physique peu athlétique et avec des poches sous les yeux.
Elle n'avait pas pu l'éviter. On ne peut pas éviter ces choses-là, même si on essaye. Et elle n'avait pas essayé. Pourtant, en un jour pareil, elle aimait imaginer ce qui se serait passé, ce qui lui serait advenu si elle avait choisi une autre option, n'importe laquelle. On ne devrait pas gaspiller autant d'énergie dans l'amour, se dit-elle, il n'existe aucune raison objective de préférer l'amour à d'autres expériences. Elle appuya sur l'accélérateur, convaincue de s'efforcer d'arriver le plus vite possible. En réalité, elle tenait de s'en persuader. Auprès de Juliàn, elle se sentait pousser des ailes. Quelle que soit son humeur, elle était toujours excitée, toujours excitante. C'était déjà une bonne raison d'avoir préféré Juliàn à tout le reste, à ses fameuses études de genre, par exemple. Une autre raison tenait à l'histoire de sa malchance. Deux raisons, telles des jumelles tyranniques: le désir frénétique et la malchance. L'amour est un chien de l'enfer, disait Bukowski. Qui pourrait soutenir le contraire? Elle regarda autour de la voiture, comme si elle interrogeait un public invisible. Pas elle. Elle attendit que le feu passe au vert, accéléra et se creusa un peu la tête. Elle ne pensait pas grand-choses du désir. Rien de décisif. En revanche, elle avait plusieurs exemples de malchance.
Cet oncle, d'abord, le jour de ses quatre ans, qui l'avait assise sur ses genoux quand elle s'était approchée pour lui dire bonjour. Elle avait senti la main de l'oncle qui sortait un truc mou d'une fermeture éclair et la posait sous sa robe en dentelle, bouffante comme une meringue. Puis il s'était balancé et serré contre elle, s'interrompant pour applaudir entre deux numéros, si content apparemment de voir de petits chiens sauter dans des cerceaux qu'il prenait ses menottes et la faisait applaudir. Cette première expérience n'avait pas été épouvantable, quoiqu'elle n'en avait jamais parlé. Plus tard, elle s'était même considérée comme une personne discrète. Elle avait décidé qu'il existait des secrets qu'on pouvait dire, bien qu'il faille taire la plupart d'entre eux. Pas les plus terribles mais les plus inconvenants. Par exemple: le sentiment qu'elle éprouvait, adolescente, quand elle se dirigeait vers un groupe de jeunes au cours d'une fête et qu'elle les voyait s'écarter, riant en échangeant des regards devant son visage couvert d'acné, comme si une explosion d'hormones vivante approchait. Quand elle avait entendu son premier surnom-Calculette, à cause des boutons- , elle avait cru mourir. Le deuxième-Printemps, à cause des bourgeons- , lui avait fait l'effet d'une pierre écrasant une larve calcinée par le soleil. Au troisième, elle était blasée. La crise nerveuse avait pris la forme subtile d'une voix, la voix de sa mère qui lui disait: regarde-toi en moi. Nous, les femmes, n'avons pas besoin de l'approbation des hommes. L'idée l'avait atterrée et incitée à suivre plusieurs régimes. Le régime de la lune, le régime de l'ananas et du lait, et le régime du désespoir à bas de rognures d'ongles. A dix-sept ans, elle avait emménagé seule. Elle ne parlait à personne et, quand elle se promenait au parc, elle détournait le regard des couples. Elle habitait un petit appartement dans un immeuble de quatre étages où, bien qu'elle ne dise jamais bonjour, des hommes plus âgés qu'elle l'abordaient. Ils plantaient leurs yeux sur elle comme un cadavre.
Je m'inquiète pour toi, disaient-ils.
.../...
Rosa Beltràn- extrait de "Haute infidélité" roman traduit de l'espagnol (Mexique) par Pauline Duval
Editions de la Différence
 

 

                                                 {{{{{{{{{{{{{{{{{{{{{{{{{{{\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\

LE CALENDRIER 2023


 


                           |||||||||||||||||||||||||||||||||||||####################[[[[[[[[[[[[[

 






"Cher petit merle, j'aurais voulu t'écrire à l'instant de ton apparition mais je ne suis maître de rien: le téléphone a sonné, puis j'ai dû sortir faire des courses. Personne n'est tout à fait libre de son temps, n'est-ce pas. Même le rois s'inclinent devant un traité à signer, une migraine, une messe obligatoire. On m'a dit que l'empereur du Japon, et plus encore son épouse, étaient les plus célèbres prisonniers du pays. Un entretien avec eux est minuté. S'il se prolonge d'une minute, les gardes qui se tiennent au fond de la salle d'audience, comme des soldats de plomb, font un pas en avant. Une minute de plus et ils avancent encore d'un cran. Les rois et les empereurs sont les poupées qu'un pays se fabrique pour dorer ses rêves. Parfois, las de jouer, il leur coupe la tête. Ta douceur, petit merle, cette manière si gracieuse de pencher ta tête légèrement de côté, était d'un roi qu'aucune étiquette n'empèse.
Sans doute ne te reverrai-je jamais. Tu ne m'as pas vu-encore que je n'en sois pas très sûr. Vous les animaux, vous avez une singulière façon de voir-par vos nerfs, vos muscles, votre dos, autant que par vos yeux. Tu venais d'atterrir de l'autre côté de la vitre, sur l'herbe verte du pré. Noir sur vert, et cette pâte orangée de ton bec, lumineuse comme une lampe Emile Gallé.
Tiens, me suis-je dit en te voyant: du courrier.
.../..."
Christian Bobin extrait de: "La grande vie." 
 
                             \\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\{{{{{{{{{{{{{\\\\\\\\\\\\\
 
 

 
 

                                        \\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\[[[[[[[[[[[[[[[[[[[[[[[[[[[[[[[{{{{{{{{{{{{{{
 

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...