mercredi 13 juillet 2022

un souffle qui essaie de durer

 

"S’arrêter devant le soleil
Après la chute ou le réveil

Quitter la cuirasse du temps

Se reposer sur un nuage blanc

Et boire au cristal transparent

De l’air

De la lumière

Un rayon sur le bord du verre

Ma main déçue n’attrape rien

Enfin tout seul j’aurai vécu

Jusqu’au dernier matin
Sans qu’un mot m’indiquât quel fut le bon chemin"
 Pierre Reverdy
 



"Je naquis la nuit en février
Quand le soleil passe dans l'eau
Emporté par des mers enfantines
Je survis au loin sur des collines
Qui dira par une bouche amère
Ce qui tient mon âme emprisonnée
Qui dira par une bouche amère
Ce qui tient mon âme emprisonnée
La Bretagne a-t-elle autant de charme
Pour porter de sable l'horizon
Pour colorer mes yeux de ses vagues
Et couronner mon front de ses algues
J'ai des langues farouches dans la tête
J'ai des vents parfumés dans l'oreille
Le ressac palpite dans mon coeur
J'ai des huîtres et du vin dans la bouche
Quand je m'embarque dans mes océans
Je mets la voile vers les barreaux scellés
De la fenêtre ouverte à l'autre bout
Par où mon âme voudrait s'envoler
Qui dira par une bouche amère
Ce qui tient mon âme emprisonnée
Qui dira par une bouche amère
Ce qui tient mon âme emprisonnée
Au fil des quais glissant sous les arches
Où l'herbe pousse entre les pavés
Je cherche dans des reflets d'enfance
Des souvenirs d'avant que je marche
Ma mer est là qui coule toute grise
Et qui se brise en écumes blanches
Sur les étraves des piliers des ponts
Comme des phares sillagent mon front..."
Gilles Servat


" Comment se fait-il que nous puissions fermer les yeux et garder en nous le visible ? Et ne nous serait-il pas permis, et même intimé, de faire comme l'anémone qui se referme, au soir, sur ce qu'elle a absorbé de jour, et se rouvre le lendemain un peu plus grande ?"
Philippe Jaccottet
 

" Le bourg de Batz debout sur les marais
Le Croisic tout au bout du grand traict
Sous ses veilleurs, les souvenirs m’attendent
Et l’enfance en moi comme un matin

Par-dessus le manteau d’Arlequin
Où les œillets se fendent sous le sel de Saint-Guénolé
Tournez, tournez les ailes du moulin de Guérande
Sur le grain de mes jours envolés
Sur le grain de mes jours envolés


Chemin de mer au talus de rochers
Entonnoir de granit écorché
Passaient nos jeux, passaient nos vies gourmandes
Sur le clair sablier de Port-Lin

La mer a fuit l’auge de Saint-Goustan
A l’orée des lents oiseaux distants
Mon père penché, ramassait des amandes
Des fruits de nacre et des couteaux marins

Parmi l'étincelance des reflets
que les sternes en criant éraflaient
devant la plage où les rouleaux se rendent
ma mère brassait les flots de Valentin

Sur son balcon allumé de bouquets
Ma grand-mère qui regarde les quais
Et les marais balançant des guirlandes
De bateaux beaux comme des ravins

Des soirs dorés des vieux cars fabuleux
Le soleil dans le pare-brise bleu
Citron brûlant éblouissante offrande
De l’été déjà sur le déclin" 
Gilles Servat

 


"Il n'aura pas,
mon poème,
la force des explosifs.

Il aidera chacun
 à se sentir vivre
 à son niveau de fleur en travail,

 à se voir
comme il voit la fleur."
Eugène Guillevic

 



" Être
Où et quoi ?

N'importe où,
mais pas rien qu'en soi.

Être dans le monde.
Fragment, élément du monde.

Supérieur à rien,
Pas à quiconque, pas à la pluie qui tombe,

Se sentir égal
et pareil au pissenlit, à la limace,

Inférieur à rien,
Ni au baobab, ni à l'horizon,

Vivre avec tout
ce qui est en dehors et en dedans,

Tout ce qui est au monde,
Dans le monde.

Fétu de paille, non !
Cathédrale, non !

Un souffle
qui essaie de durer."
Eugène Guillevic 
 

 

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