lundi 6 janvier 2020

l'objet de la vision



Il m'a fallu chercher sur le boulevard de mer, à gauche ou à droite après le jardin je ne me souvenais plus. Pourtant, un jardin, comme traversée obligée. 
J'avais quitté des haies et des bosquets, une mare à poissons rouges, quelques coins secrets. Aujourd'hui, l'horizon s'était élargi sur une grande pelouse fleurie qui mettait en valeur des troncs respectables, les mêmes qu'hier certainement, enfin , franchement, je n'étais plus vraiment sûr.
 J'ai posé les mains sur un muret de pierres et des images m'ont aussitôt accroché la mémoire.
 Elles conjuguaient des histoires à ne pas forcément marier ensemble. Si j'avais réfléchi un peu au lieu d'arriver ici sur un coup de vide dans la tête, j'aurais su m'y attendre. Je croyais m'avoir organisé un week-end presque sans conséquences et je me retrouvais avec des émotions planquées bien au chaud, qui débarquaient sans prévenir et dont je ne savais quoi faire.

Je suis bien sur le coin de plage où nous venions tous les deux, j'ai tout de suite reconnu la forme et la disposition des rochers, tu te rends compte cela fait 35 ans, mais qu'est ce que je fous là, dis?

J'avais pris un livre sans vraiment réfléchir, au kiosque à journaux de la gare Montparnasse , juste pour le titre... "les marins perdus" histoire de raccourcir le voyage mais j'avais surtout dormi. Je le sors de mon sac, je l'ouvre au hasard: " Pourquoi ne se décidait-il pas? Qu'avait-il à gagner sur la mer, loin de ceux qu'il aimait? Quelle malédiction l'avait frappé un jour, lui et tant d'autres, qui ne trouvaient un sens à la vie que loin de tout rivage?" et soudain, je pleure, des larmes comme des grosses gouttes d'orage tombent les unes derrière les autres. sur les pages.

 C'est idiot, il faut que je me ressaisisse, vraiment n'importe quoi... j'avais 15 ans et je ne sais même plus comment il s'appelait.
 Il faut que je m'en aille, c'est pas bon la mer, elle a le goût des larmes.



 "Fais comme le sculpteur: il enlève, il gratte, il polit, il nettoie jusqu'à ce qu'il fasse apparaître un beau visage dans la statue.
Toi aussi, enlève tout ce qui est superflu et ne cesse de sculpter ta propre statue."

Plotin





"Si je peignais, je voudrais bien que loin d'aller seulement jusqu'au bout de l'espace de la perspective classique, ce que j'écris fasse ce couloir étranglé où l'on s'engage et qui s'élargit après le goulet, et que l'on vît -si je peignais- le paysage masqué, parce que j'écris par l'opacité du bourrelet de l'étranglement ventru.
il faudrait que l'on pût avancer dans un tableau comme dans un livre et c'est ce que devrait permettre le cinéma."

Boris Vian extrait de "journal à rebrousse-poil-1952






"Je remercie chaque matin courtoisement le diable ou l'un de ses agents penché sur mon ardoise.
Prévenance n'est point pacte.
-Que répond-il?
-Mec, laisse tomber. C'est un daru.
-Satisfait, dans l'injuste milieu?
-Non.
-Alors?
-Les années admirables, la grande peste, la juridiction mathématique, l'horloger d'ici marmot sinistre, toi à demeure."

René Char "Prévaricateur"




" La sensation se termine en imagination, et quand la première n'est plus, l'objet de la vision reste dans la seconde." 
Plotin

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