dimanche 11 septembre 2011

si ça continue




"Si ça continue", la barbe égouttante et la tête touchant presque un plafond dégringolé - par la volonté des contraires? "Si ça continue, il va pleuvoir" énonça, non sans humour, l'homme du jardin tout en continuant à cueillir quelques tomates rescapées d'une saison indéfinie. Il causait à lui-même et peut-être aussi aux lapins qui avaient pris l'habitude de venir "l'encourager" dans ses taches potagères.
Il existait entre-eux comme une affaire  presque tacite de complicité, qui s'était organisée au fil des ans, sans salade ni faux semblant, chacun tenant son rang et protégeant l'autre de sa bienveillance intéressée.
"Notre pote âgé" disait les lapins qui n'avaient pas  l'esprit au terrier. "Mes compagnons de fin de  route" philosophait gentiment le vieil homme qui dans une autre vie, particulièrement éloignée maintenant , n'avait pas connu ce genre de relations avec l'espèce animale, jusqu'au jour ou presque où il avait fini par se rappeler qu'il en faisait lui aussi partie, de l'espèce animale...
"Je vous préviens, les gars, les filles, si ça continue, je ne pourrais plus descendre le chemin caillouteux qui m'amène presque chaque jour,  à me surprendre en gentleman farmer "
"Mais tu disais déjà ça l'année dernière" lui répondit un gros mâle grisonnant qui avait pris l'habitude de jouer au  porte-parole du groupe des léporidés ( peau ridée toi même pensait dans sa moustache un jeune impertinent)  "Et qui sait qui va nous prévenir si les autres ils débarquent hein? t'as pensé à ça?"
Les autres, les autres, tu parles... ils sont comme moi maintenant, y-a bien longtemps qu'ils ont rangé leur artillerie à la cave et d'ailleurs vous n'êtes pas sans le savoir, vu la maternité galopante, que dis-je exponentielle  de vos compagnes ,même plus régulée par quelques grappes de chevrotine."
Le gros garenne qui se prenait presque pour un lièvre fit celui qui n'avait pas bien entendu, préférant surveiller du coin de l'oeil quelques lapereaux  de l'année qui avaient tendance à se donner un peu trop de bon temps dans les cultures du conciliant  papy. Il faudrait qu'il leur explique un peu plus tard, en aparté,  les règles et coutumes de l'endroit, qui ne ressemblaient en rien à celles apprises dans les gènes, comme quoi, l'Eugène il avait pas toujours raison.
"Et puis à quoi ça me sert, à moi, de faire pousser des légumes si y-a plus  personne pour les manger?" Le grand-père essuya discrètement une larme qu'il voulu faire passer pour une goutte de sueur sous le chaud soleil de fin de matinée aveyronnaise, mais c'était sans compter sur l'attention sans faille de ses collègues quadrupèdes: "et nous alors on compte pour des prunes?  dit un jeune blanc-bec qui  n'avait pas la langue dans sa poche et  pour habitude de casser les oreilles de ses géniteurs avec les rengaines particulièrement  débiles d'une hase connue et  régulièrement enceinte jusqu'Adam.

Midi venait de sonner à l'église, il était plus que temps d'aller se mettre à l'ombre  Le panier  d'osier garni  de quelques poivrons, tomates et courgettes, le vieil homme avança lentement vers le portail toujours ouvert de son jardin.
"A demain Germain" . Comme chaque jour à la même heure et à l'unisson les longues oreilles entonnaient leur formule de politesse et invariablement l'ancien tout à son effort, répondait par quelques marmonnades comprises de lui seul,
et encore...
Si ça continue...

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