"Je prends une fleur et je trouve des plumes sur mes doigts. Je pense que c'est un mauvais présage : cette main qui transforme les fleurs en oiseaux morts, je peux lui faire faire des choses bien pires. Je reçois une nouvelle angoissante au téléphone, et je pressens que c'est cela que j'avais dans la main il y a un instant. A chaque toucher, on perd quelque chose, et dans cette insensibilité, nous tuons toujours une vie plus petite. C'est probablement ce qui se passe dans mon esprit. Sinon ou iraient ces hordes grandissantes de mots et de noms, et pourquoi sentirais-je toujours que des couches d'existence vivante et de souvenirs se sont noyés en lui? Restent le grandes lignes mais qui sait s'il n'y avait pas en dessous d'autres grandes lignes ? Et qu'est ce qui est effrayant, sinon le bruit qui ne monte pas à la surface?
Nous regardons, et nous tuons des choses plus petites sous le regard. Nous pensons,et nous perdons d'autres pensées, puisqu'il nous faut toujours recommencer à partir d'une chose morte. Il s'agit d'une capacité à faire disparaître qui nous est accordée, gratuitement, mais comme prélude à quelque chose de plus grand.
L'atroce explosion est délimitée dans une étroite parcelle et sous une tente. elle n'a causé aucun chaos, et nous nous émerveillons d'un tel soin, d'une telle propreté. elle sera formidable cette existence comprimée dans une capsule, et toujours prête à accomplir son devoir. et ainsi bien sûr, il n'y aura ni gaspillage ni retard. Nous ne pêcherons pas les choses avec des pensées plus grandes qu'elles, et nous ne créerons pas, d'un simple contact, des ogres ou des épidémies. En effet que se passe- t-il lorsque des scies à peine visibles cassent des murs, ou qu'une ville se transforme en une grande flaque de graisse? Que se passe t-il lorsque toute chose n'arrive plus qu'à cette échelle, et qu'on fait offrande d'énormes morceaux pour nourrir le vide? Et bien sûr, il n'est pas possible d'entendre une petite musique sous les pierres, ni d'y prédire la naissance d'une herbe. Qu'arrive t-il à deux bras qui ont travaillé comme des matraques pour sortir des enfants de la poussière transparente, et les exposer, renversés, devant les caméras? Qu'arrive t-il à deux bras qui sont sortis des murs comme la grue, ont avalé des escaliers arrachés et des ailes brisées? Les bras et le coeur se couvrent de corne, et ce n'est pas une question qu'on peut poser à un soldat retraité , ni à une fleur."-"Question à un soldat retraité" extrait de: "portes de Beyrouth et autres poèmes"- un recueil de Abbas Beydoun- traduction Nathalie Bontemps- Editions Actes Sud
Ebourriffant.
RépondreSupprimerun livre découvert par hasard si bien sur il existe
RépondreSupprimeret j'y reviendrais, parce que il est plein de belles choses