vendredi 13 août 2010

RESURGENCES




".../...Le truc est un assemblage d'images, un peu comme un patchwork en mouvement, qui raconte, tel que Cemtare aimait le faire quand elle était reporter, une manifestation dans le centre-ville de Valence. C'est assez décousu au départ, puis le puzzle de scènes se met en place et ce qu'il masquait par séquences trop brèves devient une évidence.
A côté de Nadja, donc pour elle seule, Cemtare fait le commentaire qu'elle aurait fait sur un plateau de télévision, sans déroulant, sans notes et, surtout, sans l'accord des responsables de chaîne.
-En début d'après-midi, à Valence, au milieu de la foule des badauds et des lèche-vitrines qu'un froid glacial n'avait pas découragés d'arpenter les rues du centre-ville, s'est déroulée une manifestation si peu ordinaire que ce doit être la première dans son genre.
"Ils se sont rassemblés près de la gare, où nous n'étions pas, pas plus que les chaînes concurrentes ni les autres médias, puisque la manifestation n'avait pas été annoncée, donc encore moins autorisée. Ils se sont rassemblés discrètement, sans tapage, sans vacarme, sans même un porte-voix, mais quand on est deux mille sur un parking, ça finit par se remarquer, surtout ces deux mille-ci, surtout quand on se met en branle tout doucement et qu'on commence à gêner la circulation, puis à la paralyser.
A ce moment, nous avons été prévenus. Enfin la police l'a été et quelqu'un de la préfecture nous a alertés. A moins qu'un passant n'ait jugé bon d'attirer notre attention en voyant l'unique banderole que le cortège arborait et qui la tenait.
Le patchwork d'images s'interrompt. Un seule caméra se fixe sur la tête du cortège. Une vingtaine d'hommes tiennent à hauteur d'épaules une banderole qui leur descend jusqu'aux genoux. De loin, on peut lire le texte. La caméra zoomz. En même temps que Cemtare, Nadja lit:
Art. 25.1 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme:
1. Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation, l'habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d'invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté. 
Après s'être concentrée sur le texte, la caméra balaie les visages. D'autres plans accrochent le cortège sous d'autres  angles et  s'attardent sur des manifestants en plein champ, seuls ou par petits groupes. La voix de Cemtare énonce ce qui n' peut plus échapper au spectateur:
-Cet après-midi, à Valence, deux mille S.D.F. ont défilé en silence avenue Victor-Hugo, place des Clercs, Grande-Rue, en passant devant les commerces, l'hôtel de ville, la médiathèque, le théâtre Bel-image, la mairie annexe pour accrocher sur la préfecture l'article 25.1 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme et finalement s'asseoir devant celle-ci, fermée puisque nous étions samedi, en attendant qu'une autorité veuille bien les prendre en compte.
"Cette autorité fût surement le préfet mais il ne jugea pas utile de se déplacer, déléguant à sa place tout ce que l'Hôtel de police comptait de gardiens de la paix en poste aujourd'hui et rameutant les forces de l'ordre de l'ensemble du département. A noter, l'absence remarquée de tout élu, représentant politique ou syndical, et fonctionnaire civil. A noter aussi que, jusqu'à l'arrivée des premiers C.R.S., les policiers n'ont pas cherché à entraver la progression du cortège ni à évacuer le parvis de la préfecture. Ce n'est qu'à l'arrivée d'un bataillon anti-émeute qu'un officier a exigé la dispersion volontaire des manifestants.
Cemtare met en pause le montage sur l'image fixe de l'officier usant du porte-voix équipant un véhicule de police. Il est derrière le cordon de C.R.S. qui se tient loin des S.D.F.
-C'est là que ça devient drôle, si j'ose dire. Et , à mon sens, ça se passe totalement de commentaires.
Un S.D.F. se lève et commence à se déshabiller, imité rapidement par tous les autres. En moins d'une minute, ils se retrouvent tous nus et jettent leurs vêtements sur les forces de l'ordre ahuries. On devine, aux regards des policiers surpris par l'une des caméras que l'officier  supérieur hésite. On l'aperçoit même le mobile à la main en pleine conversation téléphonique. Quand il donne enfin l'ordre aux C.R.S. d'avancer, il ne déclenche pas la charge habituelle.
Une caméra fixée sur le visage du premier S.D.F. à s'être dénudé le montre en train de crier. On ne l'entend pas mais sur ses lèvres, on devine:
-On court!
Complètement à poil, les manifestants s'égaillent dans toutes les directions, certains se précipitant même sur les policiers. un plan fige le désarroi de ceux-ci. Le patchwork d'images reprend, montrant les C.R.S. courant après les S.D.F. dans la ville, les attrapant tant bien que mal, les chargeant dans des fourgons, en matraquant certains, comme il se doit. Le film s'arrête sur le visage du premier chippendale tandis qu'il reprend son souffle, appuyé à une vitrine de librairie. Il sourit avec une malice satisfaite.
-Le con! s'exclame Nadja en se levant brutalement.
Le mouvement et la tonalité de l'interjection intrigue Cemtare.
-Tu ne trouves pas ça génial? demande-t-elle.
-Tu as insisté sur le froid en début de commentaire. il faisait combien à Valence quand ils se sont foutus à poil?
-Moins deux.../...

extrait de:Résurgences- un roman de Ayerdhal -Editions: au Diable Vauvert-



2 commentaires:

  1. Oh ! à lire, ça, je pense ! et ça vient de me donner une petite idée.........:)

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  2. ah!ah!
    mais qu'est ce donc?
    chut! secret d'état berrichon?
    ;-)

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