dimanche 4 juillet 2010

LA PART MAUDITE





-envoyé par princebzh-

".../...Le folklore? Mais je le haïssais! A dix ans, pour me récompenser de quelque bon-point, une de mes tantes m'avait conduit à une matinée de patronage : à un moment, deux Bretons étaient entrés en scène, elle en coiffe, lui chapeau à rubans, et ils avaient chanté Par le petit doigt lon la lon laire en se dandinant par la main. La Bretagne avait son héroïne, Bécassine, la bonne ahurie, et son poète, Botrel : sur fond tricolore, les images réclame du chocolat Menier montraient "L'illustre barde patriote et breton" en gilet de velours, au recto, la Paimpolaise, au verso, Ma ptite mimi, ma ptite mimi, ma mitrailleuse, "chanson de nos chers poilus sur l'air de Ma Tonkinoise"  Amusette pour enfants, soit!- encore que la mimi, la mitrailleuse ait bercé quatre ans durant, une étrange nursery. Cependant pour les adultes, la matinée enfantine continuait. Miracle à rebours, le Breton ne grandissait pas. il avait beau, apparemment, avoir une taille normale, il restait le petit Breton avec son petit costume, son petit biniou, ses petits rubans. il appartenait à jamais à la race pittoresque et récréative qu'incarnait sous une autre peau cette autre rondeur, le Bon Nègre Banania. Bamboula, Y a bon et Bécassine Ma doue beniguet , les deux lunes alternées de mon enfance, la noire, la blanche: au fond, je les imaginais assez bien mariés tous les deux, le négro et la brezonec, puis, nantis d'un petit pécule, tenanciers d'une de ces boutiques de plage où l'on débitait à la grosse du chouan tire-bouchon et du mathurin à brûle-gueule. Tout ce que la Bretagne étalait en vitrine, presque tout ce qu'elle chantait, dansait, peignait, la rapetissait à ces vues microscopiques qu'on regardait dans des porte-plumes de nacre. Ce bazar puéril m'écoeurait: si ma patrie s'était réduite à ça quelle exécration! Mais justement, la Bretagne que j'avais découverte n'offrait aucun rapport avec cette bretonnerie. J'avais déchiffré un original et on m'opposait sa traduction française, expurgée. Je retrouvais l'imposture: pourquoi cet arrêt de croissance? Pourquoi le chouan, plus vendéen que breton, nous représentait-il jusqu'à la hantise, masquant le Club Breton de 89 et nos grands mouvements libertaires? Quelle complicité censurait un effort adulte dont j'avais été le témoin? Car une autre Bretagne, digne de ses hommes et de ses paysages, se débattait sous cette caricature: à  l'heure où l'on célébrait les Botrel et les Le Goffic, des éditions locales ouvraient au breton la littérature universelle; Eschyle, Cervantes, Marlowe, Shakespeare, Boccace, Goethe, Hoffmann, Chamisso, Rilke, Pouchkine,Alexandre Block, Essenine, étaient traduits dans la langue maudite; des poètes, des historiens renouaient avec leur culture, des techniciens et des économistes élaboraient des plans; ici et là, des inconnus vivaient mon expérience, racontaient leur pays au présent. Ils n'étaient qu'une poignée, et ils contrariaient, me disait-on, leur époque. Mais je n'ignorais pas qu'ils donnaient le meilleur d'eux-mêmes; et celui qui vit à sa note la plus haute peut-il être un ennemi du temps? .../..."
-Morvan  Lebesque-extrait de "Comment peut-on être Breton?"-Editions du Seuil

3 commentaires:

  1. c'est un monsieur qui a ouvert les yeux à beaucoup de Bretons en recherche d'identité. Pour être objectif il n'a pas toujours été très clair (loin s'en faut) politiquement parlant et avant d'être un brillant journaliste progressiste du canard enchainé, il a connu des heures peu glorieuses pendant la guerre; c'était aussi cela sa "part maudite"...mais il a eu le mérite de changer, de reconnaitre ses erreurs ce qui n'est pas forcément le cas de tout le monde

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  2. hi, new to the site, thanks.

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