dimanche 27 juin 2010

MA PHILOSOPHIE DE LA VIE



Au moment même où je songeai qu'il n'y avait plus assez de place dans ma tête pour une  autre pensée, j'eus cette idée grandiose- appelez ça une philosophie de la vie si ça vous chante. En bref, cela impliquait de vivre comme un philosophe en respectant un certain nombre de principes.
D'accord, mais lesquels?

C'était ça le gros morceau, je le reconnais, mais j'avais une vague idée de ce à quoi ça pourrait ressembler. Absolument tout, manger de la pastèque, aller à la salle de bain ou seulement rester sur un quai du métro, perdu dans ses pensées quelques minutes durant, ou s'inquiéter du sort des forêts équatoriales,tout cela serait affecté, ou plus exactement infléchi par mon nouveau mode de pensée. Je ne prononcerais pas le moindre sermon, je ne me soucierais ni des enfants, ni des vieux, sinon selon  la direction générale prescrite par notre univers si bien régenté.
Je laisserais les choses être à peu près ce qu'elles sont tout en leur injectant le sérum du nouveau climat moral sur lequel je pensais être tombé par hasard, tel un étranger qui, s'appuyant accidentellement sur un rayonnage de bibliothèque, le fait pivoter, découvre un escalier tournant éclairé d'une lumière verdâtre qui s'enfonce dans les profondeurs;
automatiquement il y pénètre et la bibliothèque se referme sur lui, comme de coutume en pareil cas.
Aussitôt un parfum le submerge- ni safran, ni lavande, mais quelque chose entre les deux. Il pense à des coussins, comme celui sur lequel le bull-terrier de son oncle de boston aimait à se coucher en le regardant d'un air narquois, recourbant la pointe de ses oreilles.
Ensuite, c'est le rush.
Aucune idée n'en ressort. De quoi vous dégoûter de penser.
Puis vous vous rappelez ceci, que William James à écrit dans un livre que vous n'avez pas lu- c'était fin, c'était de toute finesse, la poudre de la vie se déposait par-dessus comme une poussière, par hasard, bien sûr, dans l'espoir toutefois de déceler des empreintes digitales.
Mais quelqu'un avait traité cette idée avant même qu'il l'eût formulée, bien qu'elle fût à lui et lui seul.

C'est si bon, l'été, de découvrir le bord de mer.
Il y a plein de chouettes balades à faire.
Un bosquet de trembles neufs accueille le voyageur.Non loin, les toilettes publiques; des pèlerins fatigués y ont gravé leur nom, leur adresse, peut-être même des messages, messages au monde, tandis qu'assis-là , ils se demandaient ce qu'ils feraient, après avoir utilisé les toilettes, s'être lavé le mains au lavabo avant de ressortir à l'air libre.
Quelle tradition les y poussait gentiment? 
Leurs mots étaient-ils philosophie, si crue fût-elle?
Je ne puis conduire plus loin un tel train de pensée, je le confesse-il y a quelque chose qui  bloque. Quelque chose de trop gros pour moi. A moins que j'aie franchement la trouille.
Peu importe ce que j'ai fait avant.
Mais sans doute puis-je m'en tirer avec un compromis -
disons que je laisserai les choses être ce qu'elles sont .
En automne je me préparerais une réserve de gelées et de conserves en prévision du froid de l'hiver et de la futilité, c'est humain, ça, et en plus c'est loin d'être idiot.
Je ne serai plus gêné par les stupides remarques de mes amis, ni même par les miennes, même si ce n'est pas ce qu'il y a de plus facile., comme dans un théâtre bondé, lorsque vous dites quelque chose qui irrite le spectateur placé devant, la simple idée que deux personnes discutent près de lui l'agace. Et bien! il faut le lever comme un gibier pour permettre aux chasseurs de le tirer-
ça marche dans les deux sens, vous savez. On ne peut pas toujours s'inquiéter pour les autres et ne  pas perdre sa propre trace..
Ce n'est pas naturel et presque aussi étrange que d'assister au mariage de deux personnes qu'on ne connaît  pas.
Et néanmoins, il y a de quoi  franchement s'amuser dans les fossés qui séparent les idées.
C'est même à cela qu'elles servent!
Et maintenant je vous demande de sortir d'ici et de profiter de la vie, et aussi, mais oui, de profiter de votre philosophie.
Car ça ne court pas les rues. Gare! En voilà une belle..."

-John Ashbery-"Ma philosophe de la vie" un texte publié dans -Jungle-poésie internationale-Editions:Le Castor Astral-

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