.../...Nous nous retrouvâmes tous plus tard à la cafétéria. Tout le monde était abstinent sauf Bill et moi, alors on n'arrêtait pas de sortir tous les deux pour siffler du bourbon entre deux tasses de café. Nita avait préparé du poulet au riz et quelqu'un avait apporté quelques tartes du supermarché. La radio était allumée et l'urne contenant les cendres de Bud avait sa propre table. Assez vit, Ray Ray et Dennis disposèrent leurs pièces pour faire une partie.
Whitey paraissait vieux ce soir. Sa main tremblait quand il soulevait son café. Diverses personnes s'assirent en face de lui et essayèrent de le faire parler mais il se contentait de hocher la tête ou de répondre: "Oh, vraiment?" sans jamais prendre sa part de la conversation. Même quand j'ai joué avec bill au jeu vidéo, dont Whitey prétendait toujours que le bruit lui filait la migraine, il ne trouva pas l'énergie de nous rabrouer. Mon personnage avait des poings en acier et Bill lançait du feu depuis une amulette sur sa poitrine. Nous nous affrontions sur un ring au milieu du désert.
Whitey me suivit lorsque je sortis en griller une. une file de gens attendait pour entrer dans la boite de nuit en face. Nous regardâmes deux jolies filles traverser en dehors des clous pour la rejoindre. La porte s'ouvrit et la musique et les rires qui s'en échappèrent couvrirent le bruit des voitures. Je me suis demandé ce qui clochait chez moi.
"Gamin, dit Whitey en montrant ma cigarette. Ces trucs-là vont te tuer.
-T'inquiète pas pour ça
-File-m'en une, dit-il et je lui donnait le paquet. J'ai un boulot pour toi, reprit-il.
-J'en ai déjà un, répondis-je, et c'est vrai: je travaillais chez U-Haul depuis six mois.
-Il faut que quelqu'un aille remettre les cendres de Bud à sa fille. C'était ce qu'il voulait.
-Sa fille?
-Elle a quitté la Floride pour s'installer ici il y a quelques temps. Bud et elle ne se sont rencontrés qu'une fois et ça ne s'est pas trop bien passé, mais c'était ce qu'il voulait.. elle habite à Downey avec mari et enfant, ça ne te prendra pas une heure."
Putain d'histoires de famille. Je n'avais pas parlé à ma propre mère depuis des lustres.
"Tu étais son meilleur ami, dis-je. Je te conduirai.
- Je ne suis pas de taille
-Un des autres gars, alors."
nous nous retournâmes pour regarder par la vitrine de la cafétéria tous ceux qui traînaient là. "Qui? dit Whitey. José? Le gars à une larme à la con tatouée sur la joue. Ray Ray? Tu crois que je vais confier ça à un mec qui oublie une fois sur deux de mettre son dentier? Ou Bill?" A ce moment-là Bill, debout dans le coin, faisait des calculs dans les airs en se marrant tout seul. "Tu te lèves le matin, tu te douches, tu te rases. Je paierai pour le coiffeur et l'essence" dit Whitey.
Je me retournai vers la boîte de nuit, en me disant à nouveau que c'était là que j'aurais dû être plutôt qu'à la cafétéria. Je ne dansais pas, mais ce n'était pas un problème. On peut s'asseoir au bar, offrir un verre à une fille. ça marche aussi comme ça. Whitey posa une main sur mon épaule et la serra. J'avais l'impression que l'alcool me rongeait l'estomac. quand le feu passa au vert, tout se mit à bouger en même temps.
J'ai laissé les cendres de Bud dans le coffre de ma voiture cette nuit-là. Pas la chose la plus intelligente que j'aie faite, mais après avoir partagé encore un demi-litre avec Bill, je suis devenu un peu chochotte. Ma grand-mère me racontait des histoires de fantômes quand j'étais petit.Ensuite, une fois que j'étais endormi, elle se glissait dans ma chambre avec un drap sur la tête et hurlait au meurtre. un jour, j'ai pissé dans mon pyjama tellement elle m'a foutu la trouille et tout le monde était mort de rire. Elle essayait de m'apprendre quelque chose, je crois, mais encore maintenant j'ai peur du noir.
Quand je suis descendu pour aller bosser le lendemain matin, le coffre était grand ouvert. Un connard avait arraché la serrure. Ma roue de secours avait disparu, mon cric et l'urne qui contenait les cendres. Le soleil peut sembler tellement cruel dans ces moments-là. Et les arbres, cette façon qu'ils ont juste d'être là, et tous le chiens du quartier qui se foutent de ta gueule. Ta propre peau te fait l'effet d'une punition.
Toutes sortes de gens venaient chez U-Haul. Des gens heureux, des gens tristes. on entrait leur nom dans l'ordinateur, on vérifiait leur carte de crédit et on les conduisait à leur véhicule. On avait droit à une prime si on arrivait à les convaincre de prendre des assurances optionnelles. Le responsable nous enquiquinait toujours avec ça. "Vendez votre came, disait-il, vendez votre came." C'était un jeune Black Cedrick. Très ambitieux. Mais la seule chose à laquelle je pouvais penser ce matin-là, c'était les cendres de Bud et quel abruti j'avais été de les laisser dans le coffre. J'aurais bouffé celui qui les avait prises. Je me serais bouffé.
'homme aux dents bizarres avait un milliard de questions, mais on voyait bien à son sourire épanoui qu'il connaissait déjà les réponses et que c'était juste pour m'emmerder. Certains types prennent leur pied en faisant ça à ceux qui bossent derrière un comptoir. toute ma vie, j'ai eu affaire à eux.
"il y a combien d'essence dans le réservoir?
-il est plein, monsieur;
-Et s'il n'est pas plein quand je le rends?
- Nous ferons le plein et nous débiterons votre carte.
-Combien du litre?
-Un dollar
-Vous trouvez vraiment ça juste?"
Mes mains se mirent à transpirer au point que j'arrivais à peine à tenir le stylo et le col de mon tee-shirt se resserra autour de ma trachée. L'homme aux dents bizarre m'adressa un sourire encore plus large, de sorte que sa bouche coupait son visage en deux. Je m'excusai et passai dans l'arrière-salle. Ma langue refusait de se tenir tranquille et j'étais terrifié à l'idée de l'avaler. Quelqu'un au comptoir dit "réfrigérateur " et quelqu'un d'autre dit "qui". Le sol me paraissait à environ un million de kilomètres. C'était Denver qui recommençait. Je ne voulais pas pleurer, mais ça se passait en général comme ça.
Cedrick me retrouva les bras autour de la fontaine à eau, la tête posée dessus. il y avait une telle gentillesse dans sa voix quand il me dit de prendre une pause. en sortant, je déposais mon badge sur son bureau parce que je savais que je n'allais pas, que je ne pourrais pas revenir.
il y avait tout un choix d'urnes au funérarium. elles étaient exposées sur des étagères dans une salle pleine de cercueils. un vieille femme dont les cheveux ressemblaient à un nuage de fumée essaya de m'orienter vers les modèles de luxe, mais je restai ferme sur mes positions. Le récipient de base en cuivre me coûta soixante dollars.
J'empruntai l'hibachi de mon voisin et versai un demi-paquet de charbon dedans. quand il fut brûlé, désagrégé et refroidi, je transvasai les cendres dans l'urne. C'était le seul moyen que je voyais pour rétablir la situation. Bud aurait approuvé, je suis sur. il avait toujours su apprécier une bonne supercherie. Je montai l'urne à mon appartement et ouvris une boite de chili con carne. Le premier aliment que je prenais de toute la journée. Le sommeil ne vint pas plus facilement, mais je ne m'attendais pas à des miracles.../..."
Extrait de: 'La défense logo-indienne" une nouvelle de Richard Lange-publiée dans un recueil de... nouvelles (bravo) "Dead Boys"- traduit de l'anglais par Cecile Deniard- Terres d'Amérique- Albin Michel
Ouah ! ça a l'air de cartonner dur ce truc là !
RépondreSupprimerça me plaît.
j'aime bien en général "l'exercice" des Nouvelles et là je me régale toutparticulièrement
RépondreSupprimerquelle plume..