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".../...En aval, l'ancien port de Paimboeuf, où Jules Verne à 12 ans voulait embarquer comme mousse, a depuis longtemps perdu la guerre entre les coques métalliques et la marine à bois. Et de l'ancien lazaret de Mindin destiné à accueillir les trois-mâts transatlantiques des équipages mis en quarantaine avant leur remontée de l'estuaire ne demeure que la "Porte monumentale" très modeste arc de triomphe dont la grille ouvrait sur quelques mètres de sable à marée haute, quelques dizaines de mètres de vase à marée basse. Le monument insolite est aujourd'hui oublié au bord de la grève , quelques mètres en contrebas des premières piles -autrement monumentales-du grand pont suspendu entre Saint-Nazaire et Mindin.
A quelques centaine de mètres en amont de l'embouchure exacte du fleuve sur sa rive gauche (le rocher dit "du Nez-de-Chien" , à Mindin où il est possible en s'asseyant à califourchon sur le goémon de baigner son pied droit dans la Loire et le gauche dans l'océan Atlantique), la construction de ce lazaret, et le percement de son bassin de quarantaine au milieu des prés salés, avait commencé dans les années soixante du 19em siècle, au moment même ou se creusait le bassin de Penhoët sur la rive droite , à Saint-Nazaire.
l'écossais John Scott construisit là, en un temps record, huit paquebots transatlantiques à coque en fer;
Saint-Nazaire devint le port d'embarquement des lignes régulières des passagers pour le Mexique, la Havane et la Guyane. On y déchargeait la houille et les céréales. La ville, entièrement détruite pendant la seconde guerre mondiale, fut rebâtie au cordeau, réaménagée aujourd'hui autour des bassins du port.
Avec le Normandie, le France et le Queen Mary2 , les chantiers de l'Atlantique auront construit trois fois, en moins d'un siècle, le plus grand paquebot du monde.
Depuis longtemps la cause était entendue: à la toute dernière extrémité du fleuve, la rive droite serait maritime et industrielle, la rive gauche balnéaire et estivale.
Au sud, Saint-Brévin, par l'une de ces plaisanteries que l'océan se plaît à faire aux géographes, avait reçu en un siècle plus de six cents hectares de dunes ou "lais de mer" , augmentant ainsi d'autant le territoire national, et que des disciples de Brémontier ,le créateur de la forêt des Landes, avaient entrepris de fixer par une pinède avant que les vagues et les courants ne viennent reprendre ce qu'ils avaient oublié. Des villas d'architecture biarrotte y apparurent, des parcs, des jardins, bientôt un casino. On y cultiva l'orchidée, planta le mimosa, boutura le rosier. La station estivale de l'Océan fut créée en 1882, et Saint-Brévin obtint de l'Etat, en 1900, de signer Saint-Brévin- les-Pins . L'année précédente, faute de bacilles de virus tropicaux et paludéens en quantité suffisante, le lazaret pas même achevé fermait boutique.
Les deux rives, reliées par un bac diésel, dont demeurent de part et d'autres les structures des ducs d'Albe , s'ignoraient absolument et tout les séparait: l'ardoise et la tuile sur leurs toits , la politique depuis la Révolution, depuis toujours les eaux tourmentées du grand fleuve dont les mouvements contraires écumaient à chaque marée, frontière naturelle aussi considérable que le Bosphore à Istanbul entre l'Europe et l'Asie, manière de fleuve Congo entre Brazzaville et Kinshasa;
Comment imaginer ici, au-dessus de ces eaux grises et vertes, charriant depuis plus de mille kilomètres leurs limons et leurs poissons, les jetant avec violence au milieu des bois flottés vers la pointe du Croisic ou l'île de Noirmoutier, un pont haubané de plus de soixante mètres de haut, de près de quatre kilomètres de long ?
Pour l'avoir emprunté des milliers de fois, je suis aujourd'hui convaincu que ce pont est une fiction . Une invention de l'un des deux Jules Verne ou Grandjouan.
Et pourquoi pas non plus une fusée sur la Lune ou un tunnel sous la Manche.""Nant-Naz"- Patrick Deville-Loire et Océan-extrait du recueil "Balades en Loire-Atlantique- Sur les pas des écrivains- Editions Alexandrines