".../...nous disons à nos amis français-dont plusieurs sont infectés- que nous serons de retour à Paris cet été...Mais en disant cela, je mets en doute ma parole.
Sait-on dans quel état le monde sera à ce moment-là?
En trois semaines, il a changé de visage.
Tout à coup l'avenir n'existe plus, il est devenu incertain. Il est à venir. Il ne viendra peut-être pas.
c'est ce sentiment étrange qui m'habite aujourd'hui."
Akira Mizubayashi- extrait d'un entretien accordé à François Armanet pour L'OBS-n°2894
"Pour que la musique parvienne jusqu'à nous, il faut des compositeurs qui créent la musique. Il faut des interprètes, des instrumentistes, par exemple des violonistes qui la réalisent, mais il faut aussi des gens qui fabriquent leurs instruments, leurs violons et leurs archets. Il faut le concours de ces trois catégories... euh... trois groupes de personnes... Sinon, pas de musique, tu vois. N'est-ce pas merveilleux ?"
Akira Mizubayashi- extrait de "âme brisée"
photo Ondine Morin
Un printemps idyllique
"Jamais
nous n'avons joui à Ouessant d'un tel printemps. Les gazouillements des
oiseaux semblent d'une intensité rare et les chants des pouillots
fitis, des fauvettes grisettes ou encore des fauvettes pitchous
distillent de la gaiété dans l'air. Pourtant ils n'ont même pas besoin
de couvrir le bruit des moteurs de voitures, le trafic routier étant
quasi inexistant. Les tondeuses quant à elle se montrent plus entétées
et perfectionnistes que d'habitude !
Avec
joie, nous avons entendu le retour des coucous gris et aperçu le vol
des hirondelles rustiques, tous au rendez-vous comme chaque année. Au
détour d'une promenade, on se plait à observer la Nature comme si
c'était la première fois. Les chardonnerets élégants semblent
papillonner sur les hauts de Lampaul puis par chance, passe telle une
flèche, une huppe fasciée solitaire. Un gobemouche noir observe de sa
branche un envol de tourterelles turques et de tourterelles des bois.
Sur les grèves, les courlis cendrés et les aigrettes garzettes veillent à
la marée. Au large, des centaines de fous de bassan volent par groupes
de six à vingt individus en se dirigeant vers le nord. Les radeaux de
puffins des anglais se sont reformés, à leur bord également des sternes
caugek et des mouettes tridactyles qui se repaissent d'un festin de
sprat.
Nous
profitons aussi d'un feu d'artifice floral haut en couleur dans les
arbres, sur les murs, dans les marais, sur la lande et surtout sur les
pelouses rases du bord de côte. Les sentiers côtiers non piétinés sont
recouverts de scilles printanières ou de pâquerettes et côtoient lotiers
corniculés, silènes maritimes, jasiones, carottes à gomme, matricaires,
bourraches officinales, séneçons communs, genêts prostrés et arméries
maritimes. Les centranthes rouges font flamboyer les murs en pierres
sèches, les prunelliers semblent exploser de fleurs et les premières
bruyères cendrées pointent leurs clochettes violettes. L' île s'est muée
en un tableau impressionniste qui tend vers le pointillisme ..."
Ondine Morin "Echo d'Essouant" -mai 2020
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« L'homme qui trouve douce sa patrie est encore un tendre débutant ; celui pour lequel tout sol est comme son sol natal est déjà fort ; mais celui-ci est parfait pour qui le monde entier est comme un pays étranger. »
Hugues de Saint-Victor
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La détresse des fleurs
"J'aime
écrire au dehors, arpenter les chemins et les routes mal tracées. Je ne
me pendrai pas à la ville qui tue, plutôt nourrir les pissenlits dans
les montagnes appalachiennes, effeuiller les marguerites sur le bord
d'un ruisseau, pêcher les écrevisses dans la rivière Larose, déguster
les cent ans près du rang Larochelle. Ce ne sont pas les nuages qui font
le ciel moins bleu, mais le regard de l'homme. La vie traîne sa chair
comme on traîne son cœur d'une solitude à l'autre, comme on traîne son
corps d'un paysage à l'autre, comme on traîne son âme d'une blessure à
l'autre.
Y
a-t-il une détresse des fleurs devant un sécateur, une douleur des
bêtes qu'on mène à l'abattoir, une peur d'enfant qu'on transforme en
soldat? Combien d'ailes faut-il pour sauver un seul ange? Combien de
mots pour soulever les haltères du silence? Combien de plaies cousues
avec leur propre pus? Je nomme chaque goutte agrandie par la mer. Un
poids s'allège dans ma tête quand je le mets en mots, un trou se comble
dans le ciel. J'ai comme du sable dans les tripes et du sang dans les
yeux. Ces arbres qu'on abat, un fruit les recommence. Cette vie que l'on
porte, on l'apprend peu à peu. Le temps pétrit la pierre où je cherche
le blé, la terre où gisent tant de morts, la chair où naissent les
enfants. Dans les planches qu'on scie, dans les vitres qu'on scelle,
dans les murs qu'on repeint, se préparent des ruines. Tout un paquet de
viscères trafique avec les ombres.
J'aime
les ciels de pluie. Ils pleurent comme les hommes. Ma mère est disparue
trop tôt. Je cherche son visage où mes larmes se cassent, ses mains sur
ma douleur. Ses mots ont façonné mes lèvres. Ses yeux m'apprennent à
voir. Elle me nourrit toujours sous les cendres et la neige. J'ai
commencé très jeune à écrire, probablement déjà dans le ventre maternel,
des esquisses de mots aux lettres mal formées, des fœtus de phrases
sentant le placenta. Ma vie serpente et s'évade par la marge.
Où
tant d'autres se vendent à l'état, à l'étal, au capital, aux dieux, je
suis resté l'enfant qui apprend à parler. Je tombe et me relève. Je rue
dans les brancards. Je pleure. Je bredouille. Je crie. Je mets du sang
dans mon stylo, des larmes dans mon encre, du sperme entre les pages.
Qu'on me donne une tache de boue et j'en fais mon drapeau. Qu'on me
donne la neige et j'en ferai du feu. Qu'on me donne le rouge des
framboises, le bleu du ciel, le noir des mûres ou des olives, la couleur
des fruits, la patience des pierres, le goût si vif des orages, le
sucre des oranges et la fraîcheur de l'air. Qu'on me donne un corps et
j'en ferai une âme.
J'écoute
les moineaux, les piafs, les corneilles et leur voix défoncée comme une
barricade. J'en fait des mots, des cailloux, des bijoux, des jeux de
mots, des jeux de mains jeux de vilains, des jeux d'enfants perdus dans
leur parc à jouets. Nous portons dans la chair toutes les questions du
monde et les choses n'en sont pas la réponse. Je veux des fleurs écloses
dans les trous de mes mains, des phrases de poète dans les trous de mes
dents, un jet d'étoiles dans un trou de balle, un peu de ciel dans les
trous noirs, des yeux de naufragés et des regards de feu dans les
orbites vides.
Ici,
je n'écris pas. Je rapaille, écriture en lambeaux, images désuètes,
rimes faciles, ponctuation rebelle, souvenirs, souvenirs, haillons
d'espoir, pensées maussades, esperluettes en liberté, microbes
d'alphabet, virus du silence. Je découpe les phrases en bonhommes de
mots, des sumos faméliques au ventre gonflé d'encre. Même quand je n'ai
rien à dire, je ne perds pas le goût d'écrire. Un feu couve sous la
cendre. J'avance comme je peux, la bouche vers le fruit, les lèvres vers
la soif, les mains vers la caresse, les paupières en veilleuse."
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