jeudi 30 avril 2020

ce sentiment étrange



".../...nous disons à nos amis français-dont plusieurs sont infectés- que nous serons de retour à Paris cet été...Mais en disant cela, je mets en doute ma parole.
Sait-on dans quel état le monde sera à ce moment-là?
En trois semaines, il a changé de visage.
Tout à coup l'avenir n'existe plus, il est devenu incertain. Il est à venir. Il ne viendra peut-être pas.
c'est ce sentiment étrange qui m'habite aujourd'hui."
Akira Mizubayashi- extrait d'un entretien accordé à François Armanet pour L'OBS-n°2894





"Pour que la musique parvienne jusqu'à nous, il faut des compositeurs qui créent la musique. Il faut des interprètes, des instrumentistes, par exemple des violonistes qui la réalisent, mais il faut aussi des gens qui fabriquent leurs instruments, leurs violons et leurs archets. Il faut le concours de ces trois catégories... euh... trois groupes de personnes... Sinon, pas de musique, tu vois. N'est-ce pas merveilleux ?"
Akira Mizubayashi- extrait de "âme brisée" 




   photo Ondine Morin

Un printemps idyllique

"Jamais nous n'avons joui à Ouessant d'un tel printemps. Les gazouillements des oiseaux semblent d'une intensité rare et les chants des pouillots fitis, des fauvettes grisettes ou encore des fauvettes pitchous distillent de la gaiété dans l'air. Pourtant ils n'ont même pas besoin de couvrir le bruit des moteurs de voitures, le trafic routier étant quasi inexistant. Les tondeuses quant à elle se montrent plus entétées et perfectionnistes que d'habitude ! 
Avec joie, nous avons entendu le retour des coucous gris et aperçu le vol des hirondelles rustiques, tous au rendez-vous comme chaque année. Au détour d'une promenade, on se plait à observer la Nature comme si c'était la première fois. Les chardonnerets élégants semblent papillonner sur les hauts de Lampaul puis par chance, passe telle une flèche, une huppe fasciée solitaire. Un gobemouche noir observe de sa branche un envol de tourterelles turques et de tourterelles des bois. Sur les grèves, les courlis cendrés et les aigrettes garzettes veillent à la marée. Au large, des centaines de fous de bassan volent par groupes de six à vingt individus en se dirigeant vers le nord. Les radeaux de puffins des anglais se sont reformés, à leur bord également des sternes caugek et des mouettes tridactyles qui se repaissent d'un festin de sprat.
Nous profitons aussi d'un feu d'artifice floral haut en couleur dans les arbres, sur les murs, dans les marais, sur la lande et surtout sur les pelouses rases du bord de côte. Les sentiers côtiers non piétinés sont recouverts de scilles printanières ou de pâquerettes et côtoient lotiers corniculés, silènes maritimes, jasiones, carottes à gomme, matricaires, bourraches officinales, séneçons communs, genêts prostrés et arméries maritimes. Les centranthes rouges font flamboyer les murs en pierres sèches, les prunelliers semblent exploser de fleurs et les premières bruyères cendrées pointent leurs clochettes violettes. L' île s'est muée en un tableau impressionniste qui tend vers le pointillisme ..."
Ondine Morin "Echo d'Essouant" -mai 2020

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 « L'homme qui trouve douce sa patrie est encore un tendre débutant ; celui pour lequel tout sol est comme son sol natal est déjà fort ; mais celui-ci est parfait pour qui le monde entier est comme un pays étranger. » 
 Hugues de Saint-Victor


                                             
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La détresse des fleurs

"J'aime écrire au dehors, arpenter les chemins et les routes mal tracées. Je ne me pendrai pas à la ville qui tue, plutôt nourrir les pissenlits dans les montagnes appalachiennes, effeuiller les marguerites sur le bord d'un ruisseau, pêcher les écrevisses dans la rivière Larose, déguster les cent ans près du rang Larochelle. Ce ne sont pas les nuages qui font le ciel moins bleu, mais le regard de l'homme. La vie traîne sa chair comme on traîne son cœur d'une solitude à l'autre, comme on traîne son corps d'un paysage à l'autre, comme on traîne son âme d'une blessure à l'autre.



Y a-t-il une détresse des fleurs devant un sécateur, une douleur des bêtes qu'on mène à l'abattoir, une peur d'enfant qu'on transforme en soldat? Combien d'ailes faut-il pour sauver un seul ange? Combien de mots pour soulever les haltères du silence? Combien de plaies cousues avec leur propre pus? Je nomme chaque goutte agrandie par la mer. Un poids s'allège dans ma tête quand je le mets en mots, un trou se comble dans le ciel. J'ai comme du sable dans les tripes et du sang dans les yeux. Ces arbres qu'on abat, un fruit les recommence. Cette vie que l'on porte, on l'apprend peu à peu. Le temps pétrit la pierre où je cherche le blé, la terre où gisent tant de morts, la chair où naissent les enfants. Dans les planches qu'on scie, dans les vitres qu'on scelle, dans les murs qu'on repeint, se préparent des ruines. Tout un paquet de viscères trafique avec les ombres.



J'aime les ciels de pluie. Ils pleurent comme les hommes. Ma mère est disparue trop tôt. Je cherche son visage où mes larmes se cassent, ses mains sur ma douleur. Ses mots ont façonné mes lèvres. Ses yeux m'apprennent à voir. Elle me nourrit toujours sous les cendres et la neige. J'ai commencé très jeune à écrire, probablement déjà dans le ventre maternel, des esquisses de mots aux lettres mal formées, des fœtus de phrases sentant le placenta. Ma vie serpente et s'évade par la marge.



Où tant d'autres se vendent à l'état, à l'étal, au capital, aux dieux, je suis resté l'enfant qui apprend à parler. Je tombe et me relève. Je rue dans les brancards. Je pleure. Je bredouille. Je crie. Je mets du sang dans mon stylo, des larmes dans mon encre, du sperme entre les pages. Qu'on me donne une tache de boue et j'en fais mon drapeau. Qu'on me donne la neige et j'en ferai du feu. Qu'on me donne le rouge des framboises, le bleu du ciel, le noir des mûres ou des olives, la couleur des fruits, la patience des pierres, le goût si vif des orages, le sucre des oranges et la fraîcheur de l'air. Qu'on me donne un corps et j'en ferai une âme.



 J'écoute les moineaux, les piafs, les corneilles et leur voix défoncée comme une barricade. J'en fait des mots, des cailloux, des bijoux, des jeux de mots, des jeux de mains jeux de vilains, des jeux d'enfants perdus dans leur parc à jouets.  Nous portons dans la chair toutes les questions du monde et les choses n'en sont pas la réponse. Je veux des fleurs écloses dans les trous de mes mains, des phrases de poète dans les trous de mes dents, un jet d'étoiles dans un trou de balle, un peu de ciel dans les trous noirs, des yeux de naufragés et des regards de feu dans les orbites vides.



Ici, je n'écris pas. Je rapaille, écriture en lambeaux, images désuètes, rimes faciles, ponctuation rebelle, souvenirs, souvenirs, haillons d'espoir, pensées maussades, esperluettes en liberté, microbes d'alphabet, virus du silence. Je découpe les phrases en bonhommes de mots, des sumos faméliques au ventre gonflé d'encre. Même quand je n'ai rien à dire, je ne perds pas le goût d'écrire. Un feu couve sous la cendre. J'avance comme je peux, la bouche vers le fruit, les lèvres vers la soif, les mains vers la caresse, les paupières en veilleuse."



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2 commentaires:

  1. Bonne année, bonne santé surtout...ces mots que nous nous disions d'une façon un peu automatique,résonnent aujourd'hui étrangement, la maladie, la mort, notre fragilité... Bon premier Mai à vous!

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    1. "Ne chantez pas la Mort, c´est un sujet morbide
      Le mot seul jette un froid, aussitôt qu´il est dit
      Les gens du show-business vous prédiront le bide
      C´est un sujet tabou pour poète maudit.
      Je la chante et, dès lors, miracle des voyelles
      Il semble que la Mort est la sœur de l´amour
      La Mort qui nous attend et l´amour qu´on appelle
      Et si lui ne vient pas, elle viendra toujours..."
      Léo Ferré

      Bon premier Mai également Sylvie
      Merci à vous
      :-)

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