mercredi 29 octobre 2025

le coeur qui taille la zone

 



"Ce qui nous guette, nous menace et bientôt nous exclura si nous refusons d'y entrer au pas cadencé, c'est "l'Usine universelle, l'Usine intégrale" que l'ingénieur flanqué du banquier ou du commissaire du peuple est en train de construire.
Cette société sans but -- sinon de durer le plus longtemps possible -- aura pour terme " le total asservissement de l'individu, son écrasement".
Michel Winock


".../...Moi qui le connait bien, je ne m'en fais pas trop. Il s'est déjà sorti de missions bien plus tordues qu'une simple ballade chez un voisin que je rangerais dans la catégorie des "pas hostiles, mais tout juste".
Mais Lebot, comment dire...Comme beaucoup d'autres ,bien sûr, il n'ose pas afficher le dégoût que provoque chez lui mon homosexualité, apparemment connue de tous. c'est un peu comme les gens qui n'osent pas regarder les handicapés en face! Moi, ça me fait délicieusement marrer. Ce qui me fait rigoler encore plus, c'est d'imaginer sa réaction s'il savait que je suis bi, en fait! Et oui, il m'est arrivé de me laisser aller dans les bras de Sapho!
.../..."


".../...
Le soleil se lève à peine et déjà la température monte. Je ne sais pas pourquoi, mais la bouche en cul de poule de Lebot me fait repenser à la surprise qu'il aurait s'il savait que j'aime bien les femmes aussi. Oh, pas les mannequins sacs d'os, ni le genre executive woman.
Les rares fois où je me suis laissé aller, c'était toujours avec des copines qui en rêvaient et qui avaient plutôt un peu de fesses, des beaux seins bien lourds, un peu de hanches, et des bras et des mains potelés, un peu rondes, qui grosses, si vous voulez, mais pas obèses. Juste une sorte de féminité à l'ancienne, comme sur certains tableaux de la Renaissance ou des siècles avant la Révolution. un jour, j'ai compris que ces femmes me faisaient penser à ma mère, qui avait une peau très sombre et ce type de rondeurs. Fastoche, l'analyse! Mais ma mère, elle est morte quand j'avais treize ans et c'est surement le souvenir de sa tendresse qui m'a attiré chez...
allez, soyons honnête...quatre femmes dans ma vie. Après des soirs de délire avec des danseuses dans les bars de Pigalle. Un faune hétéroclite, comme on dit poliment, composée de travestis, d'hommos intellos, de purs et durs, de défoncés notoires, de quelques oiseaux de nuit du monde des arts, et de rares bobos, comme on disait il y a quinze ans. Plutôt des gosses de riches venus s'encanailler. Et là, ces crétins en avaient pour leur argent...
J'avais l'impression incroyable de faire partie d'une sorte de mythologie, d'un truc qui avait toujours été là, mais qui avait réduit à la cuisson, les années passant. Cétait la  vraie vie de la nuit. on riait, on déconnait, on faisait des trucs interdits par la morale, la justice et la connerie.
Ensuite, on se retrouvait souvent entre nous, chez un ami qui a un très grand appartement. C'est en sortant de là, un soir, que je me suis fait serrer avec un peu de dope. Le juge a été sympa. il m'a laissé le choix de faire ce service militaire qui n'existe plus, mais qui sert à réintégrer les mômes des cités...ou de passer six mois en taule.
Il y a des choix faciles dans la vie...
.../....
Benjamin Legrand extraits de: "Un escalier de sable." Editions Seuil




"J'vis au coeur d'un champ de bataille
Parmi mes frères ennemis
Moitié homme, moitié sauvage
Moitié silence, moitié cri

Séparé par tant de malheurs
Réuni par tant de beautés
Affolé par le fil des heures
Apaisé par l'éternité

Ecartelé dans le fini
Ou fusionnant dans le cocon
De bonheur cent fois trop fragile
Tant il se suspend dans le vide

Et je continue de chanter
De marée haute en marée basse
On a la tête comme une lame
Pour se faire hara-kiri
Quand on parle de vie sans la vivre

J'suis né dans un pays bizarre
En cette année de l'après-guerre
Où le Français beau et superbe
Se prenait pour l'père de la terre

Notre splendide civilisation
Avait érigé des décrets
Pour empêcher les p'tits Arabes
D'aller pisser dans leur quartier

Et l'on voyait des citadelles
Où les chaouchs et les fatmas
Avaient la porte grande ouverte
Pour torcher le cul colonial

Des écoles ô combien françaises
Pour apprendre l'atrocité
D'un matérialisme obèse
Qu'on nous faisait miroiter
Comme le paradis d'l'humanité

Maint'nant je rêve d'une vie tangible
Faite de paroles et de signes
Loin des paradis celluloïdes
D'l'Assedic et des vitamines

J'aimerais q'les hommes soient égaux
Dans l'écrabouillement des mythes
Dans la cassure de nos egos
Pour laisser couler la musique

Qui nous engendre et nous relie
Dans nos îles désertes fétides
Pour voir s'él'ver un continent
Pour que du désert nous sortions

A contre-courant de ma vie
Au bout du ruisseau de mon enfance
A la source des origines
Eclate un mystère étonnant :
Qu'est-ce que je fous sur cette terre ?

Si j'vous ai parlé de ma personne
C'est pour vous parler du sens
Que je trouve à notre passage
Sur cette terre incandescente

Que nous servions de sémaphores
Aux générations à venir
Que du tremplin de notre mort
Elles s'élancent enfin pour vivre

Que nous leur payions un chemin
Défrichant la jungle du monde
Comme une piste, comme une sonde
Un don pour qu'ils vivent demain
Un peu moins balourds que nous

Nous ne sommes que des étoiles
Clignotant dans l'infini
Qui s'éteindront au matin blême
Ne laissant que des souvenirs
A nos enfants qui se rappellent
Et qui perpétuent la parole
La parole."     
Môrice Bénin "Sémaphore"    




"La paresse est une valeur humaine qui est en train de disparaître. C’est fou ce qu’à notre époque les gens peuvent être actifs. Que quelques amis se réunissent le dimanche pour un bon déjeuner, à peine la dernière bouchée avalée, il se trouve toujours quelqu’un pour demander : « alors.. ? qu’est ce qu’on fait ?… ». Une espèce d’angoisse bouleverse ses traits, tant est grand son désir de faire quelque chose ; et il insiste : « qu’est ce qu’on fait ? – mais rien ! », ai-je toujours envie de répondre… Pour l’amour de dieu, ne faisons rien. Restons un bon après-midi sans rien fiche du tout, ça ne suffit donc pas d’être avec de bons amis, de jouer à sentir cet invisible courant qui, dans le silence, règle les cœurs à la même cadence, de regarder le jour décroître sur les toits, sur la rivière, ou plus simplement sur le coin du trottoir ? J’exagère sans doute. C’est que j’aime tant la paresse, mais la vraie paresse, consciente, intégrale, que je voudrais bien lui trouver toutes les bonnes vertus. Bien sûr, elle est comme toutes les bonnes choses, comme le vin, comme l’amour ; il faut la pratiquer avec modération. mais croyez-moi, la terre ne tournerait pas moins rond si ses habitants avaient le courage de se forcer chaque semaine à rester quelques heures bien tranquilles, sans occupation apparente, à guetter les signaux invisibles et puissants que vous adresse le monde vaste et généreux."

Jean Renoir. (1937


"Il entra par la porte du fond
Celle qui donne sur la mer, sur sa petite enfance..
Derrière lui,
Un goût d’illusions perdues
Quelques poussières d’étoile
Le rouleau des marées
Le visage d’un enfant,
Une lettre de son père.

D’abord, ne pas se perdre
D’abord, se reconnaître

Nous avons erré longtemps dans la multitude, l’anonymat,
Dans l’effroyable course du temps, nous avons eu parfois très peur !

Il faut dire que nous n’étions pas préparés
Pour une telle froidure,
il faut dire que la route fut semée d’embûches,
et le doute puissant...

Mais, des voix se dressent,
Des visages s’ouvrent,
Des appels s’amplifient...

Il est temps de battre chamade
De renouer avec sa force
D’amarrer son désir à l’encre du chemin
Il n’est jamais trop tard

Tu es vie,
Tu es vent,

VIE-VENT !"   
  
Môrice Bénin


"Vendeuse de glaces
Boulevard de la plage
Sous sa bâche elle était belle
Un sourire un peu triste
J'ai senti fraise cassis
Que j'pourrais tailler la zone avec elle

Le soir sur les falaises
On est allé voir vanille fraise
Saluer le soleil sur son trône
En m'enlaçant elle m'a dit
Vendre des glaces m'ennuie
On laisse tout on taille la zone

Dans mon deux pièces à Paris
Elle répétait toutes les nuits
 On reste pas dans l'hexagone
Je lui disais laisse-moi faire
Je règle quelques affaires
Après c'est sûr on taille la zone

Moi le bureau l'ordinateur
Elle son aspirateur
Ses catalogues de Mobil-Home
Je savais que c'était minable
Je me suis abonné au câble
On taillait pas vraiment la zone

Elle me disait déconne pas déconne pas
On va pas rester comme ça
Je veux les prairies les fleurs jaunes
On va pas faire comme les gens
Vivre à cause de l'argent
On laisse tout on taille la zone
 Elle rêvait de voyages
De bagages de paysages
De grosses Harley avec des chromes
Moi mon portable et mes calmants
Mon compte d'épargne logement
Notre amour taillait la zone

Je me suis réveillé une nuit
Marchande de glaces partie
J'avais perdu mon petit Kim cône
Y a plein de filles sur le terre
Mais quand je vois une planisphère
J'ai le cœur qui taille la zone."
Alain Souchon


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