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Photo Christian Bellavia/SIPA
""Ce ne sont que 53 kilomètres de bitume, mais ils sèment la discorde en Occitanie. Ce chantier d’une nouvelle autoroute, l’A69, reliant Castres et Toulouse, dans les cartons depuis plus de quarante ans, a débuté le 6 mars, réveillant la colère de militants écologistes qui rappelle les oppositions, parfois violentes, exprimées contre les mégabassines de Sainte-Soline (Deux-Sèvres).
Il est vrai que la construction de nouvelles autoroutes a de quoi surprendre, à l’heure où le président de la République ne cesse d’exhorter à la sobriété énergétique et alors que les Français semblent avoir intégré l’importance de la décarbonation de leur quotidien. Si tous les projets autoroutiers sont désormais pour le moins discutables, le cas de l’A69 est symbolique, car la future 2x2 voies doit s’établir… à quelques dizaines de mètres d’une nationale, loin d’être saturée, et suivant quasiment le même tracé !
Selon les défenseurs du projet, l’A69 devrait faire gagner environ vingt-cinq minutes aux automobilistes, sur un trajet de plus d’une heure. Un gain de maximum quinze minutes, contestent les opposants, qui pointent en outre le coût du péage (plus de 8 euros). L’A69 est-elle un anachronisme écologique, ou une solution pour désenclaver un territoire rural, le sud du Tarn, et doper l’économie locale, comme le martèlent les élus locaux, dont la présidente (PS) d’Occitanie, Carole Delga (qui n’a pas souhaité répondre à « l’Obs ») ? Le promoteur insiste pour sa part sur les mesures écologiques d’accompagnement et souligne surtout que le projet a été érigé en « priorité nationale » par celle qui n’était pas encore Première ministre, une certaine… Elisabeth Borne.
Aurélien Bigo, chercheur sur la transition énergétique des transports, opposé à l’A69, nous éclaire sur les enjeux de la contestation.
Pourquoi vous opposez-vous à la construction de l’autoroute A69 reliant Castres à Toulouse ?
Comme tous les projets d’autoroutes encore dans les cartons, celui-ci va totalement à contresens des exigences de transition écologique et énergétique de la France et, même, à contresens des objectifs que l’Etat s’est fixés et pour lesquels nous sommes particulièrement en retard. C’est comme construire de nouvelles centrales à charbon !
Pour parvenir à atteindre les objectifs actés dans la loi, en particulier le zéro carbone et le zéro artificialisation des sols, il est nécessaire de s’appuyer sur deux piliers : le développement de nouvelles technologies et un effort de sobriété énergétique. Nous avançons certes sur le premier, mais le deuxième semble totalement ignoré, comme le prouve ce genre de projet.
Mais l’A69 ne vient-elle pas combler un besoin ?
D’abord, ce projet, comme la plupart de ceux encore sur la table, date de plusieurs décennies ! Ce sont des projets du passé, qui n’ont pas été réévalués à l’aune du contexte écologique actuel. Ensuite, une nouvelle autoroute a toujours des effets à la hausse en termes de déplacements, donc de dépenses d’énergies. Les défenseurs des projets autoroutiers affirment généralement que l’autoroute va fluidifier le trafic, sans l’augmenter et donc réduire les embouteillages et la pollution induite. Mais c’est faux. Comme le trajet sera plus rapide, davantage de personnes seront tentées de l’emprunter (pour un nouveau job, des activités de loisirs, etc.) et ceux qui faisaient déjà la route feront peut-être plus de distance dans leur journée, puisqu’ils gagneront du temps sur ce trajet : on appelle ce phénomène « l’induction de trafic ».
C’est, d’ailleurs, l’objectif des élus locaux qui espèrent, comme toujours, que l’autoroute va booster l’économie et les échanges entre ces villes : donc plus de transport de marchandises (en camions…) et de travailleurs, en voitures. Alors qu’il faudrait justement, dans le monde de demain, devenir plus sobres dans nos déplacements, en réduisant les distances des trajets domicile-travail. Il faut pour cela développer l’économie localement, pas encourager les Français à plus de déplacements…
Le simple fait que ce type de projet existe encore, soutenu par un large spectre politique, prouve que les transitions écologique et énergétique ne sont tout simplement pas prises au sérieux.
C’est aussi une histoire de coût…
Oui, tous ces projets sont coûteux [le coût des 50 kilomètres de l’A69 est actuellement estimé à 500 millions d’euros, dont près de 25 millions d’argent public, NDLR] à l’heure où nous aurions besoin de cet argent pour la transition : le ferroviaire, les infrastructures pour les vélos, mais aussi pour financer l’accompagnement social de cette transition, en soutenant financièrement ceux qui, par exemple, n’ont pas les moyens de s’acheter un véhicule électrique.
Le promoteur privé de l’A69 affirme pourtant qu’il s’agit d’une autoroute « nouvelle génération », avec de nombreuses mesures écologiques…
C’est un discours que tiennent la plupart des promoteurs de chantiers autoroutiers : ils se sentent obligés, aujourd’hui, de les repeindre en vert, avec des mesurettes écologiques. C’est essentiellement de la com ! Une autoroute « verte », c’est évidemment factuellement faux ! Les effets sont connus, documentés…
Qu’est-ce qui fait qu’un projet peut être qualifié d’écologique ?
Pour le savoir, c’est simple : correspond-il aux cinq impératifs de décarbonation de la Stratégie nationale bas-carbone [scénario officiellement promu par l’Etat français depuis 2015] ? Modérer la demande, favoriser un report vers des transports moins polluants que l’automobile, optimiser le remplissage des véhicules [transports en commun ou covoiturage…], promouvoir une meilleure efficacité énergétique, c’est-à-dire réduire la dépense énergétique par kilomètre, et réduire l’intensité carbone de l’énergie, grâce par exemple à l’électrification des véhicules. Sur trois de ces cinq leviers, une nouvelle autoroute va totalement à contresens.
Lesquels ?
D’abord, elle ne modérera pas du tout la demande, au contraire, comme je le disais. Elle ne favorisera pas, non plus, un report sur d’autres modes de déplacement plus vertueux : plus d’autoroutes, ce sont plus de voitures et de camions ! Les cars, mis en avant par les promoteurs de ces projets, ne représentent systématiquement qu’une goutte d’eau du trafic. Enfin, elle ne favorise pas l’efficacité énergétique, car, à distance égale, un automobiliste consomme plus d’énergie sur une autoroute à 130 km/h que sur une nationale à 80-90 km/h !
Restent le remplissage et l’électrification…
Les promoteurs ont beau jeu d’insister sur ces points, à coups de parking de covoiturage ou de bornes électriques. Mais c’est minime, et surtout il n’y a pas besoin de nouvelles autoroutes pour agir sur ces leviers. Actuellement, les véhicules électriques ne représentent par exemple que 2 % du parc de voitures… On nous dit qu’à l’horizon 2050, 97 % des véhicules seront électriques, mais ce n’est qu’une projection, pas une réalité tangible. Et pendant de longues années, ce seront encore majoritairement des véhicules thermiques et polluants qui emprunteront cette autoroute…
Et quand bien même nous aurions, demain, 100 % de véhicules électriques, les autoroutes restent un mauvais signal. Car des voies à plus faible vitesse, comme les nationales, c’est une consommation plus faible, donc plus d’autonomie pour les véhicules électriques ! A l’inverse, être dépendants de déplacements sur autoroutes, qui favorisent une augmentation des distances parcourues, va nécessiter des batteries plus grosses ! Or, tout le monde sait que la fabrication des batteries est la part la plus polluante des véhicules électriques.
Mais pourquoi les autorités s’entêtent-elles ?
Les politiques manquent de courage pour engager réellement la transition écologique et énergétique, qui exige, évidemment, de renoncer à ces projets devenus anachroniques.
Mais ils sont tiraillés entre différents enjeux, et l’écologie n’arrive que très rarement en tête des priorités… Leur vision de l’aménagement du territoire est datée, reposant uniquement sur l’accélération des déplacements, alors qu’il faudrait insister sur la réduction des distances parcourues.
Ils craignent, enfin, de se désengager de projets qu’ils ont soutenus pendant des décennies, de peur d’être accusés de faire volte-face. C’est pourtant ce qui s’est passé à Rouen, où le maire socialiste [Nicolas Mayer-Rossignol] a changé de position sur le contournement autoroutier de la ville, en faveur duquel il avait milité par le passé. C’est une démarche à saluer.
Les autorités avancent aussi le résultat d’un sondage qui affirme que 75 % des « populations concernées » sont favorables au projet…
Il m’est difficile de commenter ce chiffre en particulier, contesté par les opposants locaux. Mais il est symptomatique d’une forme de dissonance cognitive de chacun, un « conflit d’objectifs », entre nos préoccupations écologistes – toujours une préoccupation majeure des Français –, et un bénéfice individuel, presque égoïste, de quelques minutes de gagnées sur un trajet… Psychologiquement, pour répondre à cette incohérence, soit l’on arrête ces projets autoroutiers polluants, soit on entre dans le déni et on se rassure en se disant que « ce ne sont pas 50 kilomètres d’autoroute qui vont changer quoi que ce soit pour la planète »… Une erreur, évidemment, dès qu’on multiplie ce genre de raisonnement à toutes les transformations qui seraient nécessaires.
Les opposants à l’A69 proposent d’agrandir la nationale existante. Est-ce une bonne alternative ?
S’il s’agit d’élargir la nationale pour pouvoir ajouter des pistes cyclables protégées, pourquoi pas ? Mais si c’est pour créer une autoroute à la place de la nationale, encore une fois, cela ne va pas dans le bon sens.
La majorité, par la voix du ministre de l’Intérieur, qualifie les opposants de membres de l’ultragauche, voire « d’écoterroristes »…
C’est un glissement sémantique très inquiétant pour qualifier des militants dont l’objectif est seulement de protéger notre vie sur terre ! Ces personnes se contentent de rappeler les objectifs que l’Etat s’est lui-même fixés…
Arrêter de construire de nouvelles autoroutes est, selon vous, une évidence, mais que faire des 11 000 kilomètres d’autoroutes existants ?
La mesure écologique la plus facile est de baisser la vitesse sur ces voies à 110 km/h, car cela réduirait significativement la consommation énergétique, sans pour autant allonger lourdement la durée des trajets. Il faudrait ensuite y développer, autant que faire se peut, les voies dédiées au covoiturage et aux transports en commun. Nous pourrions même transformer certaines infrastructures existantes, et notamment les autoroutes urbaines, pour en changer l’usage, comme Paris réfléchit à le faire pour le périphérique ou comme cela se fait de plus en plus dans les grandes villes d’Europe ou du monde.
Que pensez-vous des projets de nouvelles lignes ferroviaires, qui sont souvent aussi contestés localement ?
Soyons clairs : le train est toujours préférable aux voitures et aux camions ! Néanmoins, la question de ces nouveaux projets mérite malgré tout d’être posée. Il ne faut pas seulement faire plus de trains pour réduire les émissions : il faut surtout faire moins de voitures et de camions ! Mais le problème est qu’historiquement, il n’y a pas eu de fort report modal de la route vers le train au niveau global.
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