La marée de tantôt te l'a déshabillée
Les bateaux comme les filles ça fait bien des chichis
Mais ce genre de bateau ça drague pas dans Paris
T'as les yeux de la mer et la gueule d'un bateau
Les marins c'est marrant même à terre c'est dans l'eau
Ta maman a piqué sur ta tête de vieux chien
Deux brillants que tu mets quand t'embarques ton destin
C'est pas comme en avril en avril soixante-huit
Lochu tu t'en souviens la mer on s'en foutait
On était trois copains avec une tragédie
Et puis ce chien perdu tout prêt à s'suicider
Homme ou chien c'est pareil on les r'garde naviguer
Et dans les rues d'Lorient ou d'Brest pour les sauver
Y a toujours un marin qui rallume son voilier
Regarde-la ta quille à la mer en allée
La marée de tantôt te l'a tout enjupée
Les bateaux comme les filles ça fait bien du chiqué
Mais quand on s'fout à l'eau faut savoir naviguer
T'as le coeur comme ces rocs vêtus de Chantilly
Quand la tempête y a fait un shampooing dans la nuit
Ta maman t'a croché deux ancres aux doigts de chair
C'est pas comme en avril en avril soixante-huit
Lochu tu t'en souviens dans ces rues de l'emmerde
On était trois copains au bout de mille nuits
Et le jour qui s'pointait afin que rien ne s'perde
Quand la mer se ramène avec des étrangers
En Bretagne y a toujours la crêperie d'à côté
Et un marin qui t'file une bonne crêpe en ciment
Tellement il y a fourré des tonnes de sentiments
Regarde-la ta barre comme de la Pop musique
Ça fait un vrai bordel chez les maquereaux très chics
La mer a ses anglais avec le drapeau noir
On dirait Soixante-huit qui s'en r'vient du trottoir
Si t'as la gueule d'un bar j'm'appelle Pépée Ferré
C'est pas comme en avril en avril de mon cul
Dans ce bar endossé au destin de la rue
Et c'est pas comme demain en l'An de l'An Dix mille
Lochu tu t'en souviens c'était beau dans c'temps-là
La mer dans les Soleils avec ou bien sans quille
Un bateau dans les dents des étoiles dans la voix
Et quand on se ram'nait avec nos Galaxies
Ça faisait un silence à vous mourir d'envie
Et les soirs d'illusion avec la nuit qui va
L'An Dix mille... Lochu ? Tu t'rappelles ?
L'An Dix mille... Tu t'rappelles ? Lochu ?
L'An Dix mille, l'An Dix mille, l'An Dix mille..."
“Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde“, écrivait Brecht. Cette phrase termine une pièce “La résistible ascension d’Arturo Ui“, qui ne fut jamais publiée ni jouée de son vivant, bien qu’il ait tenté de le faire durant son exil aux Etats-Unis, de 1941 à 1947.
Bertold Brecht n’avait ni publié ni monté ce texte, car il avait été critiqué pour cette pièce écrite aux Etats-Unis, cette parabole sur le fascisme, par le mouvement communiste très stalinien de l’époque, et surtout par ses pairs “engagés”, pour avoir laissé place à l’idée de “totalitarismes”, en extrapolant à partir d’un épisode du nazisme de 1941 et en le transposant dans le Chicago des années 1930. Contraint à autocritique par des camarades artistes, Brecht avait fini par expliquer que sa pièce ne se voulait pas une explication du fascisme étendue au “totalitarisme”. Il lui fut aussi entre autres reproché de déroger aux règles du “réalisme socialiste” par la RDA où il vécut jusqu’à sa mort en 1956.
Cette phrase, abondamment citée, a donc une histoire particulière, et cette histoire, inscrite dans le contexte des années 1950, nous autorise à l’emprunter pour, à notre tour, “extrapoler” sur le ou les fascismes d’aujourd’hui, les identifier comme tels ou utiliser le vocable “totalitarisme”, diversion langagière pour ne pas déranger “la bête”.
Etre anti-fasciste aujourd’hui a-t-il un sens, “contre la bête” ?
Je pose la question volontairement de façon polémique, comme on pourrait demander de la même manière si le terme de fascisme ainsi brandi n’a pas un côté désuet et passe partout ?
Mettons de côté les réponses sur le thème “l’antifascisme est une tradition ouvrière, un fondamental anarchiste” à laquelle on ne peut déroger. Car, en dehors d’avoir rempli une ligne supplémentaire, cela ne nous dit rien du combat à mener, de la nature changeante de “la bête”, et, nous le savons, n’a jamais protégé personne de ses propres dérives politiques. L’anti-fascisme “de tradition” est un oxymore.
On peut envisager aussi cette façon de procrastiner avec des titres comme “le fascisme qui vient”, qui évitent de décrire “la bête” à laquelle on fait face, en renvoyant au lendemain l’analyse de ses excréments. C’est autant pour éviter de prononcer un gros mot qu’admettre que “la bête” a des aptitudes de caméléon pas toujours prévisibles.
En réalité, avant d’être anti-fasciste, on se doit toujours d’être humaniste, pour déceler ces moments où “la bête” veut avoir raison de l’humanité, de son organisation sociale, de ses lieux de vie, de ses possibles vies en commun, de ses éco-systèmes, au profit d’un intérêt supérieur qui, même si son idéologie change, lie toujours pouvoir, propriété et profit. Etre anti-fasciste, en réalité, c’est aller rechercher sous les cendres, les lazzis, et les couches de terres morbides ou la poussière, accumulées par les faussaires de l’histoire, l’intelligence que quelques unEs, assez nombreux/ses cependant, mettaient en oeuvre aux sorties des guerres qui ravagèrent le monde, pour décrire justement comment “la bête” n’était pas morte, et qu’un simple “plus jamais ça” ne pouvait remplacer la vigilance et le combat.
Plutôt que cultiver des mythes de la “Résistance”, dont tous les nationalistes se disputaient la dépouille avec les communistes de l’époque, reconstruisant ensemble des Etats-nations tout en conservant jalousement les “colonies”, ces anti-fascistes “d’après-guerre” ont entamé la lutte décoloniale, la considérant comme prolongement naturel de leur lutte contre “la bête”. Un Albert Camus serait donc aujourd’hui renvoyé dans les cordes de l’islamo-gauchisme, à l’heure où la philosophie se vend au rayon de Mein Kampf.
L’anti-fascisme ne peut donc être une réaction simplement violente face au désespoir, mais au contraire une proposition humaniste de combat, fut-elle très minoritaire, face à ces définitions pour demain des sorties de crise capitaliste, prônant à la fois sauvetage des profits et régimes politiques dits “forts”, définitions portées par des petits de “la bête”, nés dans la fange de la période.
Et je voudrais prendre mon temps pour, tour à tour, désigner ces petits de “la bête” qui ne se ressemblent pas entre eux, se nourrissent l’un l’autre, s’abreuvent à leur mère, seule source commune, très identifiable : le fascisme.
Voici donc l’introduction d’une chronique qui se poursuivra."
Daniel Fleury chez: KEDISTAN
A suivre… > La bête immonde
des mots en liberté sur son chemin côtier
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Merci...
RépondreSupprimerAvec grand plaisir.
SupprimerBon week-end
:-)