vendredi 15 novembre 2019

tirer des bords


Vertige de l'instant.
                          Sentiments délayés
au court-bouillon des embouchures.
Moi jeu
bipède
 sous influence d'un courant alternatif
l'emballant dans des élans contraires,
 soufflant le chaud ou froid  à la seconde presque.
Je godille,
                 je pagaye,
enfin... je rame
et l'équilibre précaire trace sa route
en tirant des bords
bâbord
                tribord
trans-bordeur



Et pendant ce temps là,
derrière les barreaux.
 par où le vent s'engouffre 
par où les chimères  s'mouillent
par où les apparences s'estompent.
A l'abri des regards...



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Seul le temps agréablement perdu vaut vraiment de l’argent...

"L’a-t-on déjà dit ? Mais, de toute façon, on ne le dira jamais assez : le monde n’est qu’un gigantesque bureau. Dès que l’homme se trouve obligé de travailler pour survivre, il a toutes les chances de se retrouver dans un bureau, dans un des tiroirs de ce bureau planétaire que représente la Terre. Même s’il est suffisamment doué pour exercer des professions «sans chaînes et sans horaires impérieux» comme journaliste, écrivain, avocat, conservateur, bibliothécaire, maquettiste, directeur littéraire, publicitaire ou dessinateur, il se retrouve dans des bureaux où il passe les trois quarts de son existence. Et le bureau, inutile de le nier, c’est l’endroit clos où l’on s’ennuie le plus sûrement, celui où l’on perd sa vie en prenant du ventre et du cul, celui où la médiocrité et les mesquineries prolifèrent le plus dangereusement, le lieu qui évoque avec le plus de réalisme la succursale d’une cellule au sein d’une énorme prison : on y est d’ailleurs condamné aux travaux forcés, et généralement à perpétuité.

Projeté dans la vie sans diplômes et sans capacités particulières, j’aurai mariné dans des bureaux comme tous les minables professionnels : de vingt-deux à quarante-cinq ans. Y exerçant pendant plus de quinze ans des fonctions particulièrement obscures et débilitantes. Et toujours au minimum vital, car je n’aurai jamais réussi à creuser mon trou nulle part. Je me faisais toujours renvoyer après quelques mois ou bien je m’en allais de mon propre gré pour m’enfermer dans un bagne voisin, le temps d’atteindre la limite du supportable pour fuir et me retrouver de nouveau ailleurs.

Peu épargné par les faillites, grand spécialiste de l’échec en tous genres, défini par beaucoup de manques et peu de qualités sociales, j’ai malgré tout une réussite à mon actif, à mon acquit : dans un monde d’horaires et d’incarcérés, de barreaux et de bureaux, je suis resté un homme relativement libre. C’est une de mes seules réussites, mais j’y tiens et j’en suis fier, assez étonné aussi. J’y ai toujours tenu, car je n’ai jamais rien négligé pour la forger. J’ai toujours travaillé avec la conscience que rien ne ressemblait plus à un employé municipal qu’un écrivain – celui-là même que je voulais être –, et que l’écrivain comme l’employé ne pouvait donc être qu’un homme de bureau, un bagnard en chambre, un travailleur de la plume, un condamné à la table sur quatre pieds. Comme je n’ai jamais eu l’ambition de devenir cinéaste, maçon, régatier, photographe ou astronaute et que ma seule hantise passionnelle était d’écrire, je n’avais qu’un seul souci en assumant des emplois de bureau : passer le plus d’heures possible à écrire pour moi et le moins d’heures possible à engrosser le compte en banque de mes employeurs. Ambition simpliste mais difficile à tenir. Ma réussite est d’avoir tenu cette gageure : j’ai écrit à travers tout, contre tout, partout, presque sans cesse, même quand j’étais emballeur et en fin de compte, j’ai écrit bien plus rageusement quand j’étais employé à plein temps dans des bureaux que quand j’ai été, sur le tard, largué dans une certaine liberté.

De toute façon, être resté libre malgré les barreaux des bureaux et être plus libre que je ne l’étais dans mon passé, c’est ma façon à moi d’être «arrivé». Et j’estime que, sur ce plan, je suis arrivé bien plus loin que le P.D.G. qui se fait des millions tous les mois, mais fait du bureau forcé de 9 heures à 9 heures bien souvent, dort à peine la nuit, calcule ses échéances en rêvant, traqué par ses bilans, ne prend que huit jours de vacances par an et met fiévreusement en banque ce fameux temps-or gagné, alors que seul le temps agréablement perdu vaut vraiment de l’argent. (...)"


Jacques Sternberg, Vivre en survivant, Editions Le Bateau Ivre Source: "Binary Coffee"

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la phrase du jour:


 


                           
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Source: Marianne n°1182
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