samedi 27 janvier 2018

à fourbir nos nuits




 "Je t'apprendrai
à laisser ta peine
sur le dos des mouettes
pour que finalement
d'une décharge à l'autre
tes larmes rejoignent
la mer."
THomas Vinau



  Photo:Claude Crausaz

"J'écoute le ciel ouvrir mes yeux" 
Thomas Vinau 



Z'AI LU:



"Je dispose par devers moi d'un signe infaillible qui atteste mon retour à la santé, c'est la beauté. Pour avoir végété si longtemps dans les affres, y avoir assisté à la faillite de toutes choses au monde, à l'évidence de la caducité universelle, c'est miracle, que par un retour si soudain et si improbable, il me soit possible, caprice ou nécessité, de goûter si nouvellement le charme de quelque image, toute intérieure il est vrai, mais qui vient se superposer sur les réalités existantes, et les colorer d'un relief inattendu. Ainsi donc la vie est possible, "simple et facile "comme dit Verlaine, lequel connaissait lui aussi d'affreuses débâcles. On ne peut réduire la beauté à une pure illusion, même si très évidemment il y aurait grande simplesse à la croire nécessaire et constante. Elle apparaît et disparaît, comme la lune entre les toits de la ville, tantôt mélancolique, tantôt brillante et radieuse, toujours bien-venue. Mais elle ne dissipe en rien les obscurités, les "terreurs d'une profonde nuit", elle les rend moins cruelles, moins dévastatrices. Je sais dorénavant - je le savais déjà mais j'avais tendance à l'oublier - qu'il faut me résoudre à cette dualité indépassable, à ce contraste tragique de l'horreur et de la beauté, où la beauté ne change rien à l'ordre des choses mais y introduit cet inestimable plus qui contribue à rendre l'existence supportable.

La beauté je la vois avant toutes chose dans certains visages, féminins le plus souvent, où la grâce et la vivacité enjolivent le sourire, le portant à une qualité d'incandescence qui magnifie tout, qui exalte le transitoire aux limites de l'intemporel. C'est évidemment impossible, ce serait une grave erreur, mais on souhaiterait que ce sourire dure toujours, échappe à tout jamais aux lois du temps. C'est le miracle de la peinture : voyez la Primavera, le seul sourire délicatement joyeux de toute l'oeuvre de Botticcelli. Elle dit à tout jamais le charme du jeune printemps, l'allégresse inconditionnelle de la nature nourricière, l'ivresse érotique des corps en liesse, l'abandon généreux au génie de l'espèce. Et dans le même temps on soupçonne je ne sais quelle discrète, secrète retenue, par où la dame exprime une intime distance, comme si dans l'abandon même il restait, par devers soi, quelque raison de ne pas s'y rendre toute entière.

Beauté du désir sans ambages, beauté de la distance intérieure. Equilibre parfait. Beauté du désir resté désir.

C'est où le grand âge se sépare radicalement de la jeunesse, laquelle consomme et consume la vie. Rien ne semble impossible, tant le corps est vaillant, résistant, et l'âme désireuse. Il est inévitable que l'âge venu on ait une douloureuse nostalgie de ce temps fougueux où le désir faisait flamber la vie. Certains se jettent, la soixantaine venue, dans un amour de vieillesse pour une jeunesse, pour se voir rapidement brûlés au contact de l'impossible. Songeons à Goethe proposant, à soixante treize ans, la mariage à une donzelle de seize. On devine la réponse. Puis vient un autre âge encore, le dernier je suppose, où même ces ultimes désirs ne font plus corps, et alors que reste-t-il ? Le désir demeuré désir, car si l'on dit bien que le désir ne meurt jamais, on oublie de dire que sa réalisation est elle devenue impossible. Alors on vit avec des regrets, à moins que l'on ne trouve d'autres moyens de donner quelque consistance à un désir demeuré désir. On peut peindre, ou écrire : la matière ne manque jamais. Goethe finissant un Faust qu'il avait commencé soixante ans auparavant. Ou Vinci retouchant sa Joconde, dans son ultime demeure à Lucey. Et tant d'autres exemples.

Moi aussi j'avais rêvé de faire oeuvre. Je dois me contenter, en toute modestie, de ces fragments et morceaux épars, étant incapable de mieux. Je doute qu'une soudaine inspiration, qui m'a toujours manqué, fasse inopinément son entrée en scène et me donne les moyens de l'oeuvre que j'aurais aimé faire. Je finirai sans doute comme j'ai vécu : tout en contrastes, en fragments épars, en tentatives avortées, en essais inaboutis. C'aura été mon lot, et tant pis pour moi."



Tous les hommes aspirent au bonheur 
tous les autres biens s'y rapportent et lui ne ne rapporte à rien d'autre.

Quels sont, interroge Freud les desseins et les objectifs vitaux que trahit la conduite des hommes?

que demandent-ils à la vie, et à quoi tendent-ils?
On n'a guère de chance de se tromper, poursuit-il, en répondant: "ils aspirent au bonheur (sie streben dem Glück) , ils veulent  devenir heureux et le rester.
Cette aspiration a deux faces, un but positif et un but négatif, elle veut d'une part que soient absents la douleur et le déplaisir, d'autre part que soient vécus de forts sentiments de plaisir.
"En un sens plus étroit ajoute Freud (non sans recouper au passage l'une ou l'autre des ambitions qu'on a recensées),le terme "bonheur" ne se rapporte qu'au dernier point".
Là-dessus, le moins que l'on puisse avancer, c'est que l'accord paraît presque parfait dans le concert si discordant des philosophes et de leurs doctrines: chacun, affirment-ils tous en choeur, est censé aspirer au bonheur, et c'est même là le principal levier de toutes nos actions ou de nos délibérations.
il faut méditer sur ce qui procure le bonheur, déclarait ainsi Epicure, puisque, lui présent, nous avons tout, et que, lui absent, nous faisons tout pour l'avoir.
C'était là une déclaration tout à fait conforme à la définition classique du souverain bien, du bonheur, telle qu'on la trouve déjà chez Aristote:" Nous cherchons le bien souverain toujours pour lui-même, et jamais pour autre chose".../..."
Jean Salem extrait de: "Le bonheur ou l'art d'être heureux par gros temps"




"Je connaissais un type qui n'avait pas pris l'habitude de s'intéresser aux choses et à la richesse infinie du monde autour de lui
il a mal fini
un jour on l'a retrouvé complètement ratatiné sous le chant encore frais d'une grenouille."
Thomas Vinau

photo Claude Crausaz


Tendres pensées  à Jacques, à  Christian, à Serge, à Pierre...






"A chevaucher dans la brûlure comme de la viande perdue
à tenir sans réponse les yeux saignés par l'horizon
à se sentir entre deux tranches de sable
à fourbir nos nuits
à rejoindre" 
Thomas Vinau

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