jeudi 21 décembre 2017

sommes-nous


"Vie qui ne peut ni ne veut plier sa voile,
voile que les vents ramènent fourbue à la glu du rivage,
toujours prête cependant à s'élancer par-dessus l'hébétude,
vie de moins en moins patiente désigne-moi
ma part si tant est qu'elle existe."
René Char "feuillets d'Hypnos"


Le buzz régnait lui aussi en maître.
Le buzz était l'enfant mort-né de l'instant,
de la poudre aux yeux et aux lèvres.
L'une des multiples ramifications inventées pour tailler en lamelles
la faculté d'exister des hommes."
Pierre Vavasseur


"Les cerveaux les plus habiles travaillaient à l'hyper-communication,
l'ultra connectivité,
lesquelles étaient les formes déguisées de l'hyper ultra esclavage
et débouchaient sur des torrents de solitude."
Pierre Vavasseur 





"Les scientifiques rêvaient d'éternité mais négligeaient de prendre contact avec les philosophes
car il y avait, tant qu'à jouer avec ce feu-là,
une sérieuse question à régler,
c'était celle de l'ennui."
Pierre Vavasseur 


"J'étais passé prendre Elias chez lui au petit matin. Il habitait à la lisière de Montreuil et d'Aubervilliers et m'attendait à l'angle de deux petites rues timides, son paquetage à ses pieds.
Le philosophe Alain avait raison, le journalisme c'est la Légion Etrangère. Nous avions quitté Paris par la porte d'Orléans, pressés de nous coiffer du vaste chapeau du ciel. Ellias a allumé la radio et fait défiler les fréquences.
-Je cherche du sans pub.
Radio Libertaire diffusait un poème de Verlaine mis en musique par Léo Ferré. Une rareté.
Je vous vois encore en robe d'été
blanche et jaune avec des fleurs de rideaux
mais vous n'aviez plus l'humide gaîté
du plus délirant de tous nos tantôts
Il s'était retourné vers moi.
-ça marche toujours la charte?
-Toujours.
-Jamais d'autoroute.
-Ni le plus court chemin.
C'est toi qui conduis.-Tu n'as pas le permis. On ne t'a jamais dit que tu ressemblais à John Mayall?
J'étais heureux, je ne me sentais pas seulement libre, j'étais bien. La route nous était livrée, faite pour ne prendre mouvement qu'avec nous.
Et si, par le simple exercice mental d'annuler le sens des choses en ressassant un mot jusqu'à n'en faire qu'une écorce, on s'évertuait à oublier que ce trait de bitume conduisait quelque part, si on ne comptait plus qu'avec la peau translucide de la lumière appliquée aux formes, si on arrachait de notre cerveau cette logique du décor pour ne plus converser qu'avec les courbes et les coups de tranchoir, les orages de gouache dispersés sur le sol, toute cette armature cousait sur le vide un curieux costume.
Le paysage n'existait plus et ce n'était pas plus mal car le paysage n'a pas de bonté pour nous. C'est lui qui nous peint sur le motif jusqu'à réviser nos vies.
Lui qui nous domine, nous avale et nous digère.
Le moment venu, il ne nous couvrira plus de baisers, cessera de nous cajoler et nous étouffera mieux que la terre. J'avais si souvent traversé le pays, cartes routières déployées sur les genoux comme un tablier de hasard. 
J'avais épousé les routes et leurs chapelets d'arbres, beaux comme des rangées de confidences tels qu'on les voit à l'orée des villages de Provence.
Je m'étais arrêté aux étangs boutonnés sur un champ de velours, j'avais salué les armées de tournesols bouche bée au plein soleil, les vastes draps de colza qui font barrière au ciel à hauteur de regard, ce jaune plein, ce jaune de fête aux puissants accords, vivifié par l'azur, ravitaillé par une chaotique harmonie. J'aimais les toboggans alanguis du bitume avec le linge mis à sécher des carrières, le ciel plissant de l'oeil, les corniches des montagnes, l'abîme tendu de la mer, la salive lumineuse et fantasque des fleuves, les ensevelissements à l'envers que sont les nuages à l'horizon, leurs fins arpents de pluie comme des jupons et cette élégance à nous dire, lorsque s'épuise l'heure entre chien et loup, que la vie finira toujours.
La destruction en règle de la poésie du monde, dont nous étions chaque jour un peu plus les témoins dans notre quotidien, était sauvée par cette beauté-là.
Passé Chartres, nous poussions la porte des paysages.
Telle bouffée d'arbres encornant la perspective. Des champs de colza faisaient claquer leurs draps majuscules. Je savais qu'en quelques jours le miracle se produirait. Que ce décor s'arracherait lui-même à sa logique. Il ne serait que coups de gouache, de tranchoir, d'éboulements, j'attendais les jupons de pluie inclinés par le vent, le ciel planté debout comme un bouclier droit, et contre son armature le blason des coutures fantasques.
J'aimais à annuler le sens des choses comme lorsqu'on joue à dire et redire un mot sans se lasser jusqu'à l vider de son sens."
Pierre Vavasseur
extraits de: "Un pas de danse." Editions Jean-Claude Lattès












 chez: "L'oeil et la plume"

2 commentaires:

  1. bonnes fêtes de fin d'année à vous, ici de beaux textes et de belles photos...MERCI bises!

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