dimanche 25 septembre 2016

la fête de l'insignifiance


".../...
Oui, c'est comme ça, dit Ramon.
Les gens se rencontrent dans la vie, bavardent, discutent, se querellent,
sans se rendre compte qu'ils s'adressent les uns aux autres de loin,
chacun depuis un observatoire dressé en un lieu différent du temps.
Après une pause Charles dit: "Le temps court. Grâce à lui, nous sommes d'abord vivants, ce qui veut dire: accusés et jugés.
Puis nous mourrons et nous restons encore quelques années avec ceux qui nous ont connus, mais très tôt un autre changement se produit : les morts deviennent des vieux morts, personne ne se souvient plus d'eux et ils disparaissent dans le néant;
seuls quelques-uns, très très rares, laissent leurs noms dans les mémoires mais, privés de tout témoin authentique, de tout souvenir réel, ils se transforment en marionnettes...
.../..."





".../...
Se sentir ou ne pas se sentir coupable. Je pense que tout est là. La vie est une lutte de tous contre tous. C'est connu. Mais comment cette lutte se déroule t-elle dans une société plus ou moins civilisée?
Les gens ne peuvent pas se ruer les uns sur les autres dès qu'ils s'aperçoivent. Au lieu de cela, ils essaient de jeter sur autrui l'opprobre de leur culpabilité.
Gagnera qui réussira à rendre l'autre coupable.
Perdra qui avouera sa faute.
Tu vas dans la rue, plongé dans tes pensées. Venant vers toi, une fille, comme si elle était seule au monde, sans regarder ni à gauche ni à droite, marche droit devant elle. Vous vous bousculez.
Et voilà le moment de vérité.
Qui va engueuler l'autre, et qui va s'excuser?
C'est une situation modèle: en réalité, chacun des deux est à la fois le bousculé et le bousculant.
Et pourtant, il y en a qui se considèrent, immédiatement, spontanément, comme bousculants, donc comme coupables.
Et il y en a d'autres qui se voient toujours, immédiatement, spontanément,comme bousculés, donc dans leur droit, prêts à accuser l'autre et à le faire punir.
Toi, dans cette situation, tu t'excuserais ou tu accuserais?
-Moi, certainement, je m'excuserais.
-Ah, mon pauvre, tu appartiens donc toi aussi à l'armée des excusards. Tu penses pouvoir amadouer l'autre par tes excuses.
-Certainement.
-Et tu te trompes. Qui s'excuse se déclare coupable; Et si tu te déclares coupable, tu encourages l'autre à continuer à t'injurier, à te dénoncer, publiquement, jusqu'à ta mort. Ce sont les conséquences fatales de ta première excuse.
-C'est vrai. il ne faut pas s'excuser.
Et pourtant, je préfèrerais un monde où les gens s'excuseraient tous, sans exception, inutilement, exagérément, pour rien, où ils s'encombreraient d'excuses...
.../..."




".../...
Chaque être humain était le décalque de la seconde pendant laquelle il avait été conçu.
.../..."






Milan Kundera-extraits de: "La fête de l'insignifiance"-Editions Gallimard-



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