vendredi 4 juillet 2014

respire



"Il est en nous un être caché, inconnu, qui parle une langue étrangère, et avec lequel, tôt ou tard, nous devrons entrer en conversation."
-François Taillandier-






" Tout ce que l'on n'a pas saisi, pas entendu, tout ce que l'on a négligé, tous les êtres regardés distraitement, les moments vécus sans y être, les gestes réprimés, les mots contenus, la vérité mise au placard, tout cela un jour se dresse devant nous comme une montagne. Mon inquiétude devant Anielka est la rançon de tout ce que j'ai été et de tout ce que je n'ai pas su être, la sanction des offensives et des dérobades, la désignation des limites acceptées ou franchies, le solde de mes curiosités et de mes indolences, de mes émois et de mes dédains, de mes intelligences et de mes aveuglements. C'est tout ce que j'ai à donner, à chercher, à espérer dans la vie ; c'est aussi ma destruction, le rien qui m'envahit, la dispersion de ma cendre. " 
-François Tallandier- 




"Il est des heures où, depuis la nuit, glisse une ombre froide et incolore. Elle se laisse couler tout le long du couloir central, avant de se faufiler sous les portes en ferraille jusqu'à ce petit espace restreint encerclé par les murs des cellules. Et c'est cette même opacité qui vient nous rendre visite chaque soir, fidèle, inaltérable. On a beau passer des heures à regarder ce vide qui soudain enveloppe le monde sous nos yeux, il arrive que l'on ne puisse plus deviner aucun repère avant la pointe du jour, derrière les grilles électriques qui emmurent la cour, dans ce néant sans fin ni commencement.
Ici, l'écho des pas alourdis des gardiennes qui s'en vont marque le début de notre nuit. Il est minuit exactement quand plus aucun bruit ne vient troubler le silence autour de nous. C'est à cet instant précis que la même impression de solitude et d'égarement vient s'emparer de chacune d'entre nous.
Pendant ces heures, plus personne n'est alors capable de dormir.
Je sais qu'il est impossible de trouver le sommeil en ce lieu. C'est une des premières choses que j'ai apprises en arrivant ici. Nous aurons beau nous retourner inlassablement sur le matelas de nos couchettes, ronfler, tousser, parler à haute voix pour simuler une inertie, je sais très bien qu'en ces lieux où l'isolement est plus dur que n'importe où ailleurs, les nuits deviennent insomniaques;
Il y a celles qui pleurent. Les premières semaines, ces pleurs ressemblent à des cris de révolte et de haine. c'est le sentiment d'injustice et de chagrin qui transparaît. Et puis, au fil des mois, des années, les larmes apprendront à se taire, jusqu'à devenir parfaitement inaudibles. Pourtant, elles existent toujours, elles sont bien là, ancrées dans ce silence, et le temps ne parviendra jamais à les effacer complètement.
Il y a celles qui prient, même si en apparence ces femmes donnent l'impression de se foutre royalement de tout. Lorsqu'elles se taisent, elles font mine de jouer les âmes insensibles, mais le soir venu, ce sont les premières à regarder le ciel droit dans les yeux et à lui parler dans une langue qui n'appartient qu'à elles seules; c'est l'unique issue qu'elles ont trouvée pour échapper à leurs regrets.
Les autres, tout simplement, se contentent de rêver éveillées. Leurs familles, leurs espoirs, la tendre indolence de leur vie d'avant les hantent, comme pour atténuer le supplice de l'attente. Alors il leur arrive parfois de faire semblant et d'oublier qu'elles sont cloîtrées ici encore pour des années. Les unes, regrettent, les autres non, et puis il reste celles qui, avec le temps, évolueront.
Mais ce que je sais, c'est que pas une d'entre nous n'aura la force de s'endormir. Même moi j'ai essayé, et malgré toute la volonté du monde, j'en suis incapable.
le silence est notre thérapie. C'est lui qui nous apprend à regarder le passé, à affronter nos actes, à combattre les erreurs. C'est lui qui nous fait réfléchir, et nous pousse à la remise en question, lui aussi qui nous guide, apaise nos angoisses ou les fait resurgir, nous sort de l'incertitude ou nous plonge dans la folie; C'est lui qui apprivoise ce que nous sommes, assassine le poids des heures, lutte contre les parts de nous-mêmes que nous voudrions oublier.
Jusqu'à ce que les pas des gardiennes se remettent à grincer dans le couloir, au petit matin, nous annonçant le départ d'un jour nouveau, mais qui, en fin de compte, demeure toujours identique.
Voilà à qui ressemblent nos nuits, ici, derrière les barreaux de notre détention."


J'avais tout oublié. La joie, l'impudeur, l'indolence, les odeurs, les silences et les vertiges, les images, les couleurs et les bruits, leurs visages, le timbre de leurs voix, leur absence et leurs sourires, les rires et les larmes, les bonheurs et les impertinences, les dédains et les besoins d'amour, le goût des premières années de ma vie.
Mais au fond de cette cellule envahie par l'ombre, dans le froid et la solitude, le passé refait soudain surface. long, douloureux, il se confesse;
Peut-être pour affronter le vide du moment présent. Aujourd'hui, derrière ces murs, des images, comme des photos ratées sur lesquelles les mouvements apparaissent estompés, éclatent en morceaux dans ma mémoire.
.../..."
 Anne-Sophie Brasme-extrait de "Respire" Editions Fayard











ADAGE

"Il faut vivre pour être heureux

Pour être malheureux faut vivre
C'est un adage et même deux
écrits par un philosophe ivre."
-Raymond Queneau-



6 commentaires:

  1. merci de tes richesses partagées
    gros bisous

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  2. Peut-être nous croiserons-nous à St Nazaire, Jean-Jacques ? Mais nous ne nous reconnaîtrons pas, puisque nous ne nous connaissons pas. :-)
    Je pars demain passer une semaine dans ta belle région.
    Beau mois de juillet à toi, à bientôt.

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    Réponses
    1. bon alors on va croiser les doigts pour que le soleil revienne un peu... qui sait ptêt en milieu de semaine
      m'enfin comme on dit pas cheu nous "il pleut pas il tombe de l'iode"

      Dans tous les cas, beau séjour
      et belles vacances
      pour moi ce sera en septembre
      :-)

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  3. La conscience seule ne communique pas, elle parle, elle est cette mer intérieure, dont le bruit incessant rassure, inquiète, fait démarrer parfois le dialogue.

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    1. Elle prend aussi le sens- mouvant- qu'on veut bien lui donner en fonction du préconstruit culturel, de nos cheminements et interrogations au fil de l'eau de la vie.
      Merci pour la visite et commentaire
      :-)

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