mardi 30 juillet 2013
pile entre deux
ARROWHEAD 2
"James O'Sullivan court sur la plage.
Dans mon sac à dos, la bouteille d'eau que je suis, n'adresse pas la parole à la barre de céréales avec laquelle je cohabite. C'est une question de standing: dans le milieu agroalimentaire, les liquides méprisent les solides.
Quand James court, sa foulée est lourde. Sa masse avance par soubresauts, et les plis adipeux de son enveloppe s'agitent par vaguelettes. Les saccades de ce trajet me donnent des haut-le-coeur. Par la fermeture Eclair entrouverte du sac, je vois l'océan et les corps bodybuildés; je vois les seins siliconés et les planches des surfers.
Après trois quarts d'heure de footing, James se pose sur un banc. il souffle, il sue, il récupère. Il pioche dans son sac pour nous en extraire, moi et l'agrégat de céréales qui me sert de compagnon de route.
James O'Sullivan déchire l'emballage de son en-cas surprotéiné, le dévore en deux bouchées gloutonnes. Puis il dévisse mon bouchon et porte mon goulot à ses lèvres. L'eau sort hors de moi en un jet fluide et ce flux me fait fondre en des spasmes de plaisir. A l'usine, les aînés m'avaient raconté cette sensation de plénitude, celle qu'on éprouve quand on est bu. être bue. A bouche que veux-tu. Mon Dieu...C'est le pendant à votre orgasme, lecteur humain. Il faut vivre cette expérience pour la comprendre. C'est insensé; ça me chavire.
La bouche de James est posée sur mon orifice. Les molécules d'hydrogène et d'oxygène ricochent sur les parois rainurées de mon intérieur. Elles me caressent, me massent, me chatouillent.
Plus il se désaltère à mon contenu, plus je me sens légère.
Fine
Fille.
Femme enfin...
Il termine les derniers centilitres en une lampée. Il revisse mon bouchon. Il respire profondément et il avise en souriant une poubelle située à quatre bons mètres à la gauche du banc.
James est un homme de défis, de challenges. Il aime la win et la montée d'adrénaline qu'elle procure. S'il réussit à viser cette poubelle, Mélinda l'aimera à vie, intensément et longtemps. Très longtemps...Jusqu'à ce que la mort les sépare. Au bas mot.
Il soulève le bras, arme son tir et me jette.
Je vole les amis! Je vole!
Je rebondis sur le bord métallique de la corbeille et j'atterris sur le sable.
De là, je vois James se lever et se diriger vers sa voiture.
De-là, j'entends le bruit du ressac et le chant des goélands.
De-là, je sens les rayons du soleil qui cognent sur ma peau de plastique.
Ainsi abandonnée sur la plage, j'attends de savoir ce que le futur me réserve.
Pas vous?"
extrait de "Pile entre deux" d'Arnaud Le Guilcher-Stéphane Million Editeur-
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bonjour, merci pour cette piste à explorer !
RépondreSupprimerBonjour Rotko.
RépondreSupprimerC'est un sacré bouquin que celui-là.
Une pépite
dans ma collection de mots précieux.
Je le savoure lentement pour en profiter jusqu'aux dernières lueurs de l'été.
Belle journée à toi.
:-)