samedi 2 février 2013
c'est moi
"Ne vivez pour l'instant que vos questions.
Peut-être, simplement en les vivant, finirez-vous par entrer insensiblement, un jour, dans les réponses."
-Rainer-Maria Rilke-
C'EST MOI!
"La vie moderne a inventé ce bonheur. C'est le revers de tous les enfermements, de toutes les mises à distance, de toutes les méfiances occasionnées par le progrès. Avant on s'avançait, on entrait dans le champ visuel de l'autre, on le voyait sourire, bien sûr. Mais plus vive est la sensation de passer par la voix, le truchement d'un haut-parleur juste à côté d'un digicode, et de lancer "C'est moi!".
A distance du regard, plus besoin de pudeur pour dire la satisfaction profonde d'être celui, celle que l'autre attendait. On y met un élan, une fraîcheur dissipant toutes les fatigues, les mélancolies;
C'est moi. On ne sait pas toujours quel est ce moi. Il se dilue parfois dans des je hasardeux que l'on rassemble mal. C'est peut-être pour cela aussi qu'il y a ce regain d'enthousiasme dans cette fraction de seconde jubilatoire: le haut-parleur de l'interphone prend une vacance amplifiée où l'on va faire tomber une identité soudain reconstituée, parfaite. Pas moyen de faire chuter l'inflexion de la voix sur la seconde syllabe, de signifier: ce n'est que moi. Non, le moi monte vers l'aigu, l'exclamation, une sorte d'allégresse.
C'est très humble en même temps. il y a des milliards d'habitants sur terre, et l'on n'est moi que pour un autre, deux au plus. Mais l'intensité du plaisir vient de cette singularité fantastique, inquiétante parfois mais protectrice à ce moment.
En bas de l'immeuble on jette dans la boîte à voix une bouffée de froid roborative ou bien l'haleine de l'été. On vient vers celui qui nous sait. On lui apporte un tout petit nuage d'oxygène, un infime bouleversement du quotidien;
Pas moyen de trouver une place, je n'ai fait que courir depuis ce matin- ça, c'est juste pour donner le change quand on aura gravi des marches, emprunté l'ascenseur. Comme pour faire oublier cette ivresse de certitude: avoir été celui qui dit: "'C'est moi!"
Philippe Delerm- extrait de "JE VAIS PASSER POUR UN VIEUX CON et autres petites phrases qui en disent long" -Editions Seuil-
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
J'ai lu avec bonheur ce livre, j'aime cet auteur car il écrit des choses évidentes et pourtant pas souvent formulées.
RépondreSupprimerMerci pour les photos, la deuxième est mon fond d'écran pour quelque temps...
Bon dimanche, bisous
Hello Ambre,
RépondreSupprimerCe bouquin est une pépite sur les détails "sans importance" du quotidien;
Delerm nous permet de s'arrêter sur ce qu'on ne remarque plus à force de...
bon Week-end à toi
bisous
;-)