jeudi 17 janvier 2013

sur le quai



"Le bateau est entré dans le chenal.
Enfin.
Yorgos en avait le coeur serré, griffes lui étreignant le poumon, la fin, peut-être, d'une course longue, interminable, la résolution d'un problème à une inconnue. Et cette inconnue, ce "x" , était sur le cargo qui se frottait aux quais de pierre, tiré très lentement par deux remorqueurs aussi rouillés que lui.
il adorait ce genre de prolétaires flottants, qui ne sont que très peu des bateaux, mais plutôt des moteurs insubmersibles, vaguement menaçants, trop puissants pour être honnêtes, trop courtauds et bruyants pour faire rêver, et qui ne comportent,en eux, rien de la vague, de l'alizé, de la tempête, et des mers rugissantes du Sud. Sur les remorqueurs, les hommes ne sentent pas les embruns, l'iode ou la marée, ils fleurent l'huile et le kérosène.
Un tout petit peu comme lui.
Yorgos, un sourire crispé barrant sa barbe naissante, observait la masse d'acier sombre, énorme lest incontrôlable qui se retenait pour ne pas pousser les deux remorqueurs, et entrer ainsi plus rapidement dans le bassin de Saint-Nazaire, où, enfin, il allait trouver luxe, calme et volupté, quand les moteurs se tairaient, quand les marins entendraient enfin la plainte des oiseaux et le clapotis des vaguelettes sur la coque.
Il fit quelques pas, énervé, détailla le port. Les abords, au premier coup d'oeil, étaient aussi préoccupés que lui. La base, terrifiante de béton compressé, les quelques bateaux de pêche, soudés frileusement les uns aux autres, les hangars sur la droite, à perte de vue, les chantiers, plus loin, avec leurs grues araignées, se découpant sur la façade étincelante d'un rêve en forme de paquebot en construction.
Et le pont levant. Inévitable. Dressé vers le ciel comme une échelle surréaliste débouchant sur le vide d'un ciel gris. juste derrière, un building très années quarante, au pied duquel quelques voitures attendaient de pouvoir passer et rejoindre le quartier du Petit-Maroc, vieux village de poupées poussiéreuses.
Un port, comme tous les ports. un port, comme tous les ports dans l'imaginaire de ceux qui rêvent de ports."

-Extrait de: "Sur le quai" de Jean-Bernard Pouy. Editions Terre de Brume-
















"C'est l'incertitude qui nous charme.
Tout devient merveilleux dans la brume."
-Oscar Wilde-





1 commentaire:

  1. Mmmm ! très chouette ! c'est très vrai, il existe un imaginaire des ports.....

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