"Je pense vraiment qu'il y a un problème de relais entre les aspirations de la société civile bretonne et les politiques bretons. Ils sont incapables de relayer ces aspirations, qui sont fortes. Elles concernent la sauvegarde de notre culture et la possibilité de développer notre territoire, et donc d'avoir les moyens financiers et juridiques de le faire. Or, sur ce terrain-là, les hommes politiques en Bretagne, comme partout ailleurs il faut bien le reconnaître, sont incapables de relayer ces aspirations.
Pourquoi?
Il faut bien comprendre qu'on a affaire à une classe politique professionnalisée. La plupart d'entre eux font de la politique depuis vingt ans. L'idée n'est donc pas de relayer un message, de porter des aspirations, mais de faire carrière! Dans ces conditions-là, on regarde verts le haut, vers Paris, vers la structure centrale. Et les messages les plus forts que peut renvoyer la société, s'ils ne vont pas dans le sens du pouvoir en place, de leur hiérarchie, ne sont pas relayés. C'est le problème du jacobinisme en général. On a un appareil politique qui est déconnecté du réel, qui imprime même sa marque au réel, au lieu de faire avec. Au lieu de prendre ce qu'il y a de meilleur, d'appréhender la réalité sociale et humaine, le système politique imprime sa propre loi. il y a une faillite du système démocratique, une faillite des responsables politiques bretons sur les véritables questions. La politique, c'est l'art de traiter les véritables questions, de poser les véritables problèmes.
Quels sont-ils?
C'est d'abord la question de l'autre, de l'altérité. Il y a un non-dit sur la réalité des peuples. Faire de la politique c'est sauter le pas de la reconnaissance des peuples et des territoires. Faire avec le peuple. C'est une question centrale à laquelle on se refuse toujours aujourd'hui de répondre.
L'autre question centrale, c'est celle des structures, des rapports entre le centre et la périphérie.On a le système le plus inégalitaire, entre Paris, le centre, qui domine, et la périphérie qui travaille pour Paris.Là-dessus aussi nos politiques sont inexistants. ils n'ont jamais par exemple contesté le projet du Grand Paris.
Vous parlez de système jacobin. Mais ici, nous avons des hommes politiques, notamment Jean-Yves Le Drian, qu'on ne peut pas considérer comme jacobin
Oui, mais ils sont dans le système jacobin. et lorsqu'ils ont la possibilité, des moments forts pour prendre des décisions, ils se refusent de le faire. Est-ce qu'on a entendu M.Le Drian se lever contre le Grand Paris? Je n'ai rien entendu! Alors qu'on va au bout de la spoliation!
En 2009, le président du conseil général de Loire- Atlantique, M Mareschal, a demandé une session commune avec le conseil régional de Bretagne. Il a proposé cela à M. Le Drian, pour traiter de la réunification. C'était un acte politique majeur. Qu'a répondu M. Le Drian? Non, ce n'est pas légal. Comme s'il n'avait pas conscience de la portée politique d'une telle décision, d'un voeu de réunification exprimé par tous les conseillers réunis; ça, c'est le refus de la politique. il n'a pas eu de force d'âme, il ne l'a pas trouvée, de sauter le cap, il a privilégié d'autres considérations. Et, aujourd'hui, il est ministre.
L'autre problème qu'on refuse d'aborder, c'est celui de l'inégalité des chances entre le centre et la périphérie, entre nos territoires et la grande bourgeoisie parisienne. Nos enfants, en Bretagne, sont destinés à des carrières de second rang. ils travaillent pour les autres. On sait bien que nous, on n'est pas de ce monde-là. il se reproduit lui-même, et plus ça va, plus il se reproduit. Parce que dans les classes préparatoires aux grandes écoles, il n'y a que des enfants de Parisiens.
C'est ce qui vous a fait dire que la France sert à produire des Parisiens?
Oui, la France est une formidable machine à produire des Parisiens. La France est fondée, depuis la Révolution sur le déni de l'autre, sur la mort de nos vieux peuples, sur la mort de nos nations. Elle est fondée sur l'inexistence juridique de nos vieux peuples, Bretons, Basques, Occitans, pour faire une seule nation. Comment veut-on qu'à un moment donné la France puisse produire autre chose que des Parisiens?
C'est inconcevable. il faut un véritable retournement. Sauter le pas de la reconnaissance de l'altérité, des autres peuples, et faire avec les territoires vécus, là où il y a des solidarités humaines, des gens qui ne demandent qu'à bouger, à produire, à innover. Aujourd'hui, on a le système le plus dangereux sur le plan économique. Parce que c'est un véritable carcan mis sur une société, avec des découpages territoriaux qui ne veulent plus rien dire, au sein desquels les gens se sentent mal. et si la France est aujourd'hui dans une situation politique dramatique, c'est à cause de cela. On a perdu le sens de l'initiative, du dynamisme. Les jeunes n'aspirent plus à autre chose qu'à être fonctionnaire, parce qu'aujourd'hui c'est une forme de protection; ça s'appelle du déclin! Pourtant, nul doute qu'une Bretagne enfin réunifiée, à cinq départements, avec des solidarités humaines, une image forte, des compétences pour valoriser nos atouts et pour développer notre culture génèrerait rapidement un dynamisme économique qui profiterait à l'ensemble du territoire national. C'est évident tout ça.
Vous expliquez que la région Pays de la Loire est un territoire déshumanisé?
Absolument. Parce que la région des Pays de la Loire repose sur la partition de la Bretagne. Elle a été créée de toute pièce. C'est un découpage qui nie la réalité humaine, qui nie mille ans d'histoire! On est exactement comme en Afrique, en 1885 avec le découpage issu de la conférence de Berlin. On va tracer des grands traits, au mépris des gens qui habitaient là, au mépris de leurs ethnies. nous sommes dans la même situation! On considère que ces mille ans d'histoire qui font de nous des Bretons, c'est quelque chose qu'on peut jeter aux orties. Et on coupe en deux la Bretagne, ce qui permet en plus de réduire une identité forte, quelque chose qui pourrait concurrencer Paris! On est forcément dans la déshumanisation puisqu'on ne met pas en place des découpages qui sont en phase avec la réalité humaine. On impose un nouveau sentiment d'appartenance ligérien. Et on consacre des millions d'euros en campagnes de communication pour faire de nos enfants de bons Ligériens, alors que ça ne veut rien dire! Nous sommes dans une logique de substitution identitaire. On refuse une identité, on en invente une autre, on la colle, et on espère que ça va marcher. Mais ça, c'est contraire aux Droits de l'homme, au droit international. Et j'espère qu'un jour le droit pénal international trouvera le ressort de sanctionner ce type d'agissements. Parce que c'est quelque chose de tout à fait scandaleux, c'est une violence odieuse, c'est du mépris de l'humanité. Comment voulez-vous qu'on se retrouve pleinement dans ce pouvoir? Comment voulez-vous qu'on éprouve un fort sentiment d'affiliation à la Nation Française dans ces conditions-là?.../..."
extraits d'un entretien accordé par Yvon Ollivier (vice-procureur au tribunal de Nantes) auteur de la Désunion française au mensuel Bretons (n°82)
photos: Chantal
super ce texte ! et jolies photos, comme toujours....
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