Paradoxe,encore.
J'avais un grand-père Cap-Hornier
mais...
je ne suis pourtant pas adepte des long-courriers.
Ici, où l'on croit à la solidité des éléments,
les mots peuvent parfois se perdre en considération.
A la tournée des girouettes. A la santé des falaises, toujours un peu pompettes,
à force de s'être saoulées au gros grain de sel.
L'océan se dépouille et tu gardes tout en toi, précieusement.
Pour l'impudeur de mers,
croisant au plus près de l'intimité,
tu offres bien peu de résistance.
Tu te débarbouilles
à l'oxygéné,
et
aussi, à une idée insulaire
de continental
qui se prend de plein fouet, en une semaine, ce que d'autres estiment et par tous les temps, à l'année, à dix ans, à la vie
et à la santé de la mort .
"Il y a deux choses dans l'édifice, son usage et sa beauté. Son usage appartient au propriétaire, sa beauté à tout le monde. C'est donc dépasser son droit que de le détruire."
-Victor Hugo-
"On m'avait pourtant prévenu...
Île d'Ouessant, 25 décembre 1967
Paul s'était pointé à six heures sur le quai, il avait peu dormi.
Le mardi est le jour de la relève et, même si la veille c'était le réveillon, et même si c'est un jour férié, on n'y déroge pas.
Maintenant il tombe des cordes que le suroît s'ingénie à pousser sournoisement dans le col mal fermé de son ciré tandis que la vedette qui lutte contre la grosse houlke barrant l'entrée de la baie est noyée d'embruns à chaque fois qu'elle pique du nez dans la vague.
"Ne reste donc pas là!" lui a crié Jean depuis l'abri de la passerelle. Mais Paul a besoin d'air et tant pis si celui-ci est saturé de pluie et d'eau salée, il restera à l'arrière!
Il s'en veut un peu d'avoir traîné si tard dans la nuit, mais quoi! C'était le réveillon de Noël et puis, une première montée, ça s'arrose!.../..."
".../...A la barre, le grand- c'est le patron- râle et tempête en tentant d'essuyer la buée qui condense sur le hublot tournant.
Dans un mois, ce sera pour lui la retraite, il en aura fini de ces balades aux abords des phares dans des petits matins comme celui-ci où les citoyens normaux dorment encore ou s'extasient devant la joie des enfants ouvrant fébrilement leurs cadeaux au pied du sapin.
"Si ça s'trouve, ça te manqura!" rigole Jean, accroché à la main courante du plafond de la cabine;
Le grand hausse les épaules...il est fatigué de tout ça et n'a plus envie de rigoler: le temps est pourri et la relève sera difficile. De plus, il y a une nouveau qui monte et il faudra vraiment faire gaffe.
.../...
".../...Les deux matelots halent à la volée le long filin qui relie maintenant le phare au bateau. A la barre, le grand gueule: "Du nerf, nom de Dieu!"
Paul se relève, l'estomac dans la gorge; il transpire, ses jambes lui semblent de coton..."Allez, allez, vas-y, c'est à toi!...Une main ici, l'autre là...Viiiiiire!"
Sans bien comprendre, tentant de retenir la nouvelle nausée qui le submerge, il se retrouve à califourchon sur le ballon. Il s'attend à un choc quand les autres là-haut commencent à virer, mais rien de tel ne se passe, au contraire, le câble est de plus en plus mou et Paul, déséquilibré, se retrouve allongé sur le dos sous les passavants. Un paquet d'eau glacé le rejoint aussitôt, il suffoque, il n'entend plus rien, ne voit plus rien, il vomit.
Paul n'a rien vu de la vague, il n'a pas entendu le cri d'un gardien là-haut qui lui, l'a vue se lever. il n'a rien perçu de la manoeuvre en catastrophe que vient d'opérer le grand pour éloigner le bateau du phare et atténuer le choc. Ce que personne à bord n'a eu le temps de voir, c'est l'embarquée d'eau verte qui vient de balayer le plateau, noyant le treuil et les gardiens. Celui qui se trouvait du côté au vent est resté coincé dans la manivelle, l'autre a été embarqué dans la vague et il est passé par-dessus la rambarde, à six mètres plus loin.
Dans un réflexe, il a accroché d'une main la barre supérieure du garde-corps et maintenant il se débat, bizarrement suspendu au-dessus de l'eau, le dos au phare;
C'est ce tableau que les marins voient d'abord lorsque le bateau émerge du bouillon, puis ils voient aussitôt le deuxième gardien s'extraire du treuil en crachant comme un chat furieux, foncer vers son collègue et, sans encombre, l'aider à reprendre pied sur le phare
.../...
".../...Ces types sont dingues! Ils m'ont pratiquement installé de force sur ce putain de ballon! Moi, je voulais quitter cet endroit au plus vite et ne plus y remettre les pieds, je savais déjà que je ne ferai pas ce métier. Mais je me suis retrouvé là-haut bien malgré moi et les jours qui ont suivi ne m'ont pas réconcilié avec le phare, je peux te l'assurer! Quand Fanch m'a expliqué qu'il avait vu l'hélice du bateau passer à un mètre au-dessus de lui; tu as bien entendu: au dessus! alors qu'il était coincé dans le treuil! Quand le compresseur de brume a explosé, deux jours plus tard, alors que j'étais de quart! Si je suis vivant aujourd'hui, c'est sans doute parce que j'étais accroupi derrière l'autre groupe à faire la vidange du moteur.
Celui-ci m'a protégé des bouts de métal qui ont volé partout! Un des éclats a crevé le radiateur du groupe dont je m'occupais, tu vois le tableau? on a récupéré le radia du premier pour faire tourner le deuxième, mais pour ça il a fallu d'abord que j'aille réveiller l'autre ronchon...Tu verras, il y est toujours et il n'est pas facile à sortit du lit! Quand à sa sociabilité, tu m'en diras des nouvelles...il m'a traité de tous les noms, m'accusant de tout faire pour l'emmerder; pour un peu on se mettait sur la gueule. On ne s'est plus parlé de toute la semaine, tu parles d'une mabiance.
Moi, j'ai demandé à descendre, annonçant clairement que je démissionnais, et bien, ils ont refusé! Il n'y avait, soi-disant, personne pour me remplacer, je suis resté là-bas quinze jours!
Dès que j'ai remis les pieds à terre, j'ai trouvé ce contrat de mécano en Afrique, il tombait bien. Je suis parti en couyrant.
Et tu me dis que tu veux faire ce métier, ça te regarde mais n'attends pas que je te dise que c'est sympa...Ah ça non!"
Ainsi me parlait Paul, en juillet 1968, au retour d'une mission de cinq mois au Sénégal et à qui je venais de confier ce désir que j'avais d'aller veiller un feu sur la mer."
extraits de: "UN FEU SUR LA MER"
de Louis Cozan
Editions "Les oiseaux de papier"
-Lauréat 2011 du prix du Salon International du Livre Insulaire d'OuessantOn en parle sur Littoral
(citation de Victor Hugo dans le livre)
Gardien de phares: le blog des phares de mer
C'est un beau billet.
RépondreSupprimerSa lecture a procuré un peu de réconfort à mon âme tourmentée.
Merci.
Minces de belles photos ! j'irais bien, tiens.....
RépondreSupprimerPis je le lirais bien aussi, ce bouquin.
Merci Tsuki et tant mieux si ce modeste gratouillage t'a donné un peu de baume à l'àme...
RépondreSupprimer:-)
Merci Anne; le bouquin je m'y suis plongé en revenant et c'est un agréable prolongement, comme une passerelle pour retrouver en douceur la "vraie vie"