".../...Et vous écrivez des nécrologies?
-Entre autres, oui
-Ce qui s'appelle creuser son trou, ça dites moi...Et dans les grandes profondeurs! N'est-ce pas?
Il répond d'un sourire poli. Ecrire pour un quotidien international basé à Rome lui vaut d'habitude un certain respect- du moins jusqu'au moment où il explique à quelles rubriques il est préposé.
-J'ai bien aimé les livres de votre père, poursuit-elle. Il y en avait un avec le mot "éléphant" dans le titre, qu'est-ce que c'était déjà...? se demande-t-elle en jetant un regard à sa bibliothèque.
-Oui, dit Arthur, c'était un très bon écrivain.
-Et vous écrivez aussi bien que lui?
-Hélas non.
Il boit son thé, sort de ses affaires un bloc-notes et un magnétophone.
Elle écrase sa cigarette dans le cendrier, gratouille les coutures de ses chaussons.
-Une autre tasse?
-Non, je vous remercie.
-Il enclenche le magnétophone et l'interroge sur ses débuts. Elle répond avec une impatience, puis ajoute:
-Vous devriez me poser d'autres questions.
-Je sais, tout ça est très basique. Mais il faut que je confirme certaines informations.
-Tout est dans mes livres.
-Je sais. Mais je...
-Demandez-moi ce que vous voulez.
Il lui montre son exemplaire de ses mémoires.
-J'ai beaucoup aimé, au fait.
-Vraiment? réagit-elle, le visage soudain illuminé, tirant sur une nouvelle cigarette. Navrée que vous ayez dû vous fader cette vieille chose ennuyeuse.
-Je ne me suis pas ennuyé du tout.
-Moi oui! C'est le problème, j'imagine, quand on écrit sur sa propre vie? une fois que c'est fait, on ne veut plus jamais en entendre parler. Mais il est très difficile d'arrêter de parler de soi-surtout dans mon cas! Soit dit en passant M. Gopal, ajoute-t-elle en se penchant vers lui avec bienveillance, j'aime bien les nécrologies. Je ne cherchais pas à dénigrer votre travail. Vous ne l'avez pas mal pris, j'espère?
-Non, non.
-Tant mieux. Me voilà rassurée. Et maintenant dites-moi; quand est-ce que je pourrais le lire, cet article?
-Vous ne pourrez pas, je le crains C'est contraire à nos règles. Sinon tout le monde se mettrait à vouloir apporter des corrections ici ou là. Je suis désolé.
-Dommage. Comme ç'aurait été amusant de savoir en quels termes on se souviendra de moi! L'article que j'aurais eu le plus envie de lire de toute ma vie est justement celui que je pourrais jamais lire! Bon. C'est comme ça.
Elle soupèse son paquet de cigarettes.
-Les gens doivent être terriblement irrités quand vous sortez votre calepin Non? C'est un peu comme le croque-mort qui arrive pour prendre les mesures du cercueil.
-J'espère que je ne suis pas aussi sinistrose. Mais pour tout vous dire, la plupart du temps, les gens n'ont pas conscience du véritable propos de mes question. En tout cas, je suis soulagé de ne pas avoir à faire semblant ce soir; ça me facilite la vie, vous n'avez pas idée.
-Et moi, ça va me faciliter la mort?
Il essaie de rire.
-Ne faîtes pas attention, dit-elle. Mauvais jeu de mots. Quoi qu'il en soit, ça ne me fait pas peur. Pas le moins du monde. On ne saurait redouter ce qu'on ne saurait connaître. Or la seule mort qu'il nous sera jamais donné de connaître, c'est celle des autres. Rien de plus grave. Et c'est déjà bien assez grave, me direz-vous. Je me souviens de la première fois où j'ai perdu un proche. C'était en quoi? 1947! Walter. Il est dans le livre, c'est celui qui dort toujours avec son manteau, si vous vous rappelez. Il est tombé malade, je l'ai abandonné à Vienne, et il est mort. La maladie me terrifiait. J'étais pétrifié à l'idée de...de quoi? Pas de tomber malade et de mourir, non. Même à l'époque, de façon rudimentaire, je comprenais ce qu'était la mort, au pire: quelque chose qui arrive aux autres. Et c'est cela qui est difficile à supporter; c'est cela que je n'ai pas pu affronter alors avec Walter, d'ailleurs je n'ai jamais réussi. Mais ce que je voulais dire, voyez-vous, c'est qu'il y a un grand malentendu sur la mort. Perdre la vie n'est pas la plus grande perte. Ce n'est même pas une perte. Pour les autres peut-être, mais jamais pour soi-même. Selon notre propre perspective, il n'y a pas de perte. Vous comprenez? Vous me direz, je suis peut-être encore en train de jouer sur les mots, parce que tout ça ne rend pas la mort moins effrayante, n'est-ce-pas?
-Elle s'interrmpt pour boire son thé, puis poursuit:
-Non, ce que je redoute vraiment, c'est le temps.Le voilà, le vrai démon: toujours à nous cravacher quand on préférerait flâner, si bien que le présent défile à tout allure, impossible à saisir, et que soudain tout est du passé, du passé qui ne tient pas en place, qui se glisse dans tous ces récits mensongers. Mon propre passé- pas un seul instant il me paraît réel. La personne qui l'a vécu, ce n'est pas moi. Comme si celle que je suis ne cessait de se dissoudre. "Nul homme ne se baigne deux fois dans le même fleuve, car alors ce n'est plus le même fleuve et ce n'est plus le même homme", dit Héraclite. Et c'est vrai. Nous aimons nous laisser prendre à cette illusion de la continuité, et nous lui donnons le nom de mémoire. Ce qui explique, peut-être, que notre pire frayeur soit non pas la disparition de la vie, mais la disparition des souvenirs.
Elle le toise d'un regard interrogateur.
-Ce que je dis a-t-il le moindre sens? Cela vous paraît-il sensé? Dément?
-Je n'avais jamais réfléchi à ces questions en ces termes, répond-il. Vous avez sans doute raison.
Elle se renfonce dans le canapé.
-C'est tout de même extraordinaire! Ne trouvez-vous pas cela fascinant? continue-t-elle en se penchant de nouveau vers lui. Notre personnalité meurt en permanence, et nous avons la sensation de vivre de manière continue. Et pendant tout ce temps, nous sommes là à paniquer devant la mort, dont nous ne ferons jamais l'expérience. Pourtant, c'est bien cette peur irraisonnée qui nous donne l'appétit de vivre. Nous nous étripons et nous mutilons au nom de la victoire et de la gloire, comme si, par je ne sais quel mystère, celles-ci nous donnaient le pouvoir de nous jouer de notre condition mortelle et d'étendre nos vies à l'infini. Et puis, lorsque vient la mort, nous nous lamentons d'avoir si peu accompli. Ma propre existence par exemple, a si mal tenue ses promesses. La postérité ne me fera guère de place. Sauf, bien entendu, dans les colonnes de votre excentrique journal. Je ne vous demanderai pas pourquoi vous m'avez choisie-Dieu merci, au moins quelqu'un l'aura fait! Cela prolonge un peu le bail de mes illusions
.../..."
Extrait de:"Les imperfectionnistes" roman de Tom Rachman-traduit de l'anglais pas Pierre Demarty-Editions Grasset
source: toile
Bonne fête à tous les exploités de la terre
pour ne jamais oublier que le travail n'est pas une fatalité,
ni inscrit dans les gènes...
Un jour,
grâce à l'intelligence, aux sciences, aux techniques...
et pour le bien de tous
la machine remplacera l'Homme
pour qui, il ne restera plus alors
qu'à se réaliser et se faire du bien
dans son court passage sur la planète
en partageant avec ses ptits camarades -en respect-
les richesses
qui appartiennent à personne et donc à tous.
Le journal de personne
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