mercredi 22 juin 2011
frontières glissantes
NEZ A NEZ
"L'autre, c'est d'abord soi. D'abord soi, dictait l'homme de la science tout en gravant les mots sortis de sa bouche sur sa tablette à cristaux liquides de la taille d'un codex. D'abord soi, répétait-il, le crayon électronique coincé entre le pouce et le majeur. Et partant, poursuit-il tout à sa dictée, l'autre se décrète, s'éprouve et se construit à partir de soi. A partir de soi, point. Nos capteurs sensibles ne se trompent jamais. On ignore encore par quel mouvement secret de l'âme cet Autre obsède nos jours et nos nuits mais toujours est-il que l'altérité se décrète à partir de notre propre engagement. C'est logique, dit-il en faisant mine de s'étonner de ses propres mots. C'est par le corps tout entier que s'endure le premier contact avec l'Autre.
Nous avons toujours sucé le lait du communautarisme olfactif. L'homme reste, le savant le sait de longue date, un animal qui tâte, hume ou mordille avant de montrer son talent poétique.
C'est partout l'odorat qui aurait laissé le plus intense souvenir à l'explorateur parti à la rencontre de l'Autre, en Afrique, en Amazonie et ailleurs-du moins si l'on en croit les chroniques léguées par les scribes voyageurs qui comptent parmi eux le pire et le meilleur../...L'identification, la reconnaissance, le cadastre des terres lointaines passerait d'abord par le nez. On se fierait à son pif, comme le groin va immanquablement à la truffe, ricane l'homme de science en triturant sa tablette pas plus grande que la paume de sa main."
CHAIR CONTRE CHAIR
".../...et comme en pareil cas, la peau se découvre des aptitudes qu'elle ne soupçonne, poursuit le savant; elle ne se savait pas si souple. Elle se surprend en imitant les mouvements d'autrui. Imiter, c'est le désir de devenir autre. Elle danse et danse au rythme des rythmes nègres. Au son des tam-tams, des balafons, des mbalax, des conques et des congas, énumère l'homme de science. Elle soulève des nuées de poussière dans le Sahel-palette ocre et tabac. Elle chante independance cha cha à Brazzaville, à Praia ou à Libreville, toutes ces villes qui sentent le sel et l'eucalyptus. Elle est nimbée de sueur. Elle tourbillonne, elle jubile. Elle est ivre. Elle est appel, désir, sensualité faite chair. Lourde tantôt de senteurs de lait et de sperme, tantôt de poudre et de fourrure, tantôt de remugles d'ail et de gingembre. Elle traîne des odeurs de fauve impudique. Sur son passage, le commun des mortels se tamponne une goutte de parfum sous les ailes du nez. Qu'importe, dit-il. Elle cherche par toutes ses fibres l'émoi, l'amour, la confusion, le dérèglement des sens. Elle veut fusionner avec la peau de l'autre, mêler sa sueur, ses larmes, ses effluves à ceux de son prochain. Elle veut vriller dans sa chair, boire son eau. Remonter à la source en compagnie. Etendre son empire. signer une paix blanche avec autrui. Pas de domination, pas de négation. Emulsion, fusion. Comme Adam et Eve. Elle respire, elle est comme au Paradis murmure le clairvoyant. Peau contre peau, accord des corps."
extraits de: "frontières glissantes" de Abdourahman A. Waberi
avec la participation de Monsieur Serge
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Très bon, le collage, bravo Serge ! j'aime bien l'extrait aussi.
RépondreSupprimerSerge ne sois pas timide dis merci à la Dame
RépondreSupprimer