jeudi 3 février 2011
aujourd'hui c'est raté
"Mercredi 19 janvier, il est 23 heures et je n'aime pas cette journée. Ce mercredi, une enfant de neuf ans s'est jetée par la fenêtre de son immeuble. Elle est morte. Un jeune de dix-sept ans s'est aspergé d'essence avant de s'enflammer dans son lycée. Il est à l'hôpital, mal en point. La gamine souffrait d'un diabète de type 1, c'est à dire un diabète que tu as le jour de ta naissance et qui ne lâche pas, qui te vole ta liberté d'être môme, de rigoler avec les copains, de bouffer ce que tu veux. Un diabète qui te contraint à prendre des médicaments, à contrôler ta glycémie dans le sang plusieurs fois par jour. Un de ces trucs monstrueusement injustes qui te font prendre conscience très petit que la vie est fragile et que la mort rôde pour une dose d'insuline oubliée ou un excès de sucrerie. La conscience de la mort, ce sentiment qui s'acquiert doucement, avec le temps et les accidents de la vie occupe les pensées de ces enfants victimes de la vie. On suppose que c'est un refus de cette condition de malade chronique qui l'a conduite à ce geste irréversible. On n'en sait rien. L'autre jeune garçon avait des soucis scolaires, de famille, de copains et d'amour. Les problèmes de tous les ados en somme mais lui a décidé d'en finir et de souffrir une fois pour ne plus souffrir. Après ces drames, les psys sont interrogés par les journalistes: "Rassurez-nous, donnez-nous une explication rationnelle à ces gestes de folie, c'est rare, hein?" et les psys qui ont toujours les bonnes explications ne se laissent pas déborder par l'émotion, ils restent maîtres d'eux, ils savent pourquoi ces malheurs arrivent, ils savent les failles, ils savent les fragilités individuelles. Oui, mais voilà, on sait tout cela après, quand c'est trop tard. On est encore passé à côté de ces gamins-là, on n'a rien vu, pourtant on en a lu des bouquins sur l'enfance, sur l'adolescence, sur la dépression. Le proviseur du lycée l'a bien dit: "Rien ne laissait présager un tel geste." Alors? Alors, je crois que l'on est très loin d'avoir compris ce que sont les enfants et les adolescents, je crois qu'il faut être modeste et se méfier des savants. Voilà, Lien Social m'a embauché parce que j'écris des trucs rigolos...Aujourd'hui, c'est raté. J'ai hâte que cette journée se termine."
-Etienne Liebig- "Mercredi 19 janvier"-Chronique- Lien Social numéro1003-
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