jeudi 16 septembre 2010

EN BAS LES NUAGES



"Dieu et l'homme sont une création mutuelle. Dieu a créé l'homme, puis l'homme a créé Dieu. Or la relation entre les deux avait plutôt bien débuté. Dès qu'il a été en âge de raison, l'homme a inventé une quantité de dieux et de déesses qui li ressemblaient. Lorsqu'on est doté de conscience dans un univers infini, il n'existe pas d'autre solution que de lui désigner quelques créateurs ou de s'imbiber d'alcool à longueur de journée.
Ainsi, là-haut, dans la vaste communauté des dieux, il régnait une gigantesque pagaille, identique à la nôtre. Les mêmes luttes de pouvoir, les mêmes mesquineries, les mêmes débauches désespérées les occupaient. Ici-bas, notre attitude respectait l'ordre des choses: nous les craignions plus qu'ils ne nous craignaient, ce qui n'interdisait pas une certaine complicité -sans parler de corruption-, qui se dévoilait au travers de nos sacrifices et de nos offrandes. Les dieux étaient à notre image, il fallait donc les honorer et le craindre.
Mais, un jour, l'un d'entre eux a désiré prendre le pouvoir absolu. Il est entré en négociation avec les tribus d'esclaves en Egypte, auxquelles il s'est révélé par l'intermédiaire d'un prophète, et, dans la clandestinité, ils se sont mis d'accord: le peuple élu ne vénérerait désormais plus que lui et proscrirait à l'avenir des représentations, de façon à lui laisser un peu plus d'intimité.
Après tout, chacun a droit au respect de la vie privée. Ce que ce Dieu, devenu unique, n'avait pas prévu, c'est que ses serviteurs avaient décidé de réduire drastiquement son train de vie, dans un souci légitime d'économie. Ce Dieu disposerait certes d'un pouvoir sans partage, mais - et personne ne mesurait très bien à l'époque le prix réel qu'on allait lui faire payer- , en contrepartie, il serait affligé par une bien cruelle solitude. Lui qui s'attendait à être tout simplement le maître de l'univers et de ses hommes fut donc désappointé, car les juifs en avaient décidé autrement. Le dieu unique devait renoncer à sa cour et à toute forme d'heureuse compagnie. Certains faits historiques semblent montrer que le Très-Haut leur en a tenu rigueur assez longtemps, et qu'il s'est même acharné à leur faire payer sa nouvelle existence. il faut dire que  pour les Juifs comme pour tout autre être humain, il était difficile à cette époque -où l'espérance de vie laissait si peu d'espoir- de mesurer la réelle souffrance d'une solitude éternelle.
Dieu, dès lors, est entré dans une dépression qui s'apparente à s'y méprendre  à celles qu'on remarque chez les fermiers âgés des grandes plaines: seuls dans leurs baraques en bois, ils se parlent à eux-mêmes, en se berçant dans leur siège à bascule dont le tangage fait craquer les planches de la terrasse, alors que le soleil s'efface à l'horizon, ajoutant l'obscurité à leur isolement.
L'homme avait puni Dieu en le condamnant à une retraite forcée et Dieu se vengea durant des siècles. Toutefois, il lui était impossible de rompre le lien avec nous et ce fut une de nos grandes chances. Car qui d'autre parlerait de lui si nous venions à disparaître? Hein, qui d'autre. La truite mouchetée, le héron cendré, le faisan chinois? comme disait le vieux Vonnegut, aujourd'hui disparu, "après deux guerres et deux génocides au XXe siècle, il aurait dû nous foutre hors de cette planète à coups de pie au cul" Mais Vonnegut oubliait que sans nous Dieu n'est plus rien; on fait cause commune depuis l'origine du temps. Avant nous, le ou les dieux existaient dans l'anonymat. On mesure aujourd'hui, en ce début de XXIe siècle , à quel point l'incognito est une souffrance, nous qui rêvons de célébrité. Depuis les Juifs, nous nous somme persuadés qu'un seul Dieu nous a conçu. Même si c'est vrai, il faut tout de même souligner, ce qui est difficile à admettre, que cette création résulte d'un hasard, car les dieux jouaient avec les probabilités comme avec les planètes. Un hasard heureux qui leur a donc fourni un attaché de presse investi dans sa mission, mais aussi bien des déconvenues, dont une à l'origine de la profonde mélancolie qui a frappé le dernier de leurs survivants.
C'est cette mélancolie mêlée d'une apathie intermittente qui est à l'origine de son silence dans les moments où on l'attend le plus. Et, dans ces moments-là, on ne peut s'empêcher de songer: "Bon Dieu, pourquoi il ne donne pas de nouvelles?"

- "Légende naïve de l'ouest lointain" extrait du roman de Marc Dugain: "En bas les nuages"- Editions Flammarion-

2 commentaires:

  1. Excellent, quoique douteux dans le postulat de départ, " Dieu et l'homme sont une création mutuelle. Dieu a créé l'homme, puis l'homme a créé Dieu.", forcément de pur parti-pris pour que le livre ait pu s'écrire. Pour ma part, mon postulat se résume au derniertronçon de la seconde proposition, forcément très relative. :)

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  2. qui de l'oeuf et de la poule...
    vaste débat à relier à la nuit des temps...

    "et si vraiment Dieu existait comme le disait Bakounine, ce camarade vitamine, il faudrait s'en débarrasser" -Léo Ferré-

    Personnellement, je ne sais pas, je doute mais ne ferme pas la porte et je reconnais que tant que l'on vivra avec la peur de vivre justement... les dieux tout comme les idéologies d'ailleurs...seront d'une certaine utilité, dans le sens béquille du terme bien sur!
    ;-)

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