lundi 12 juillet 2010

TRAVAILLEURS DE L'ESTUAIRE


Dans le cadre d'un atelier d'écriture mis en place par le Centre de Culture Populaire de Saint-Nazaire et avec l'aide de Sylvain Coher écrivain en résidence, a vu le jour l'an dernier  "Travailleurs de l'Estuaire"  -81 images écrites- un recueil de textes issus de la mémoire vive de retraités des mondes du travail de l'estuaire -Ce recueil a été publié aux Editions Cénomane

-A l'heure où le pouvoir et ses alliés veulent nous faire croire qu'il n'existe pas d'autre solution que d'augmenter notre temps de labeur pour qu'ils puissent continuer --eux  et plus que jamais, à  vivre dans le luxe et sur le dos d'une main d'oeuvre docile, rappelons, que la retraite est un droit et non un cadeau de gentils patrons humanistes. Il a fallu cotiser toute sa vie professionnelle  pour cela et maintenant  on vient nous dire  que le contrat signé hier  n'a plus de valeur.
-juridiquement  cela s'appelle  du vol  et c'est puni par la loi -mais quand c'est l'Etat qui décide... pour reprendre les propos d'un ancien ministre qui avait les mêmes chaussettes que le pape d'alors - traduisez: "Je vous demande de vous taire" 

  Voici quelques extraits de la mémoire de femmes et d'hommes fiers et  dignes comme ne pourront jamais l'être les exploiteurs d'hier d'aujourd'hui et...de demain.

"Ils se font face. Lui, retraité, le regard vif derrière ses lunettes. Elle, jeune, cheveux longs, consulte sa liste de questions. Il parle, il se souvient de cette époque pas si lointaine. Plus tard, il nous dira que cet entretien lui avait fait l'impression d'un coffre à jouets qu'il ouvrait pour y redécouvrir des événements enfouis dans sa mémoire. Nostalgie. C'était à lui, c'était sa vie. Sa vie résumée en trois pages, nous a-t-il dit aussi, c'est un peu frustrant. Mais il comprend la démarche de collecte de mémoire du travail. Ce n'est pas si mal, on laisse une trace. Ce qu'on a accompli reste vivant." 
(AVM. Retraité et jeune femme. Loire Atlantique. 2008)

"Elle porte sa blouse à fleurs blanches, une charlotte sur les cheveux. Elle observe le jardin par la fenêtre de la cuisine. Au dehors, un homme roule un chariot grani de fioles et de plateaux. Des guirlandes de papier ornent les étagères. Au plafond, les silhouettes de rennes harnachés de rouge dansent une farandole. On suppose que c'est Noël . Elle remue une cuillère dans une grande gamelle. Autour d'elle, quatre grands enfants aux visages abîmés. ils semblent chanter. On distingue leurs bouches édentées. On sait qu'ils ont longtemps été nourris avec des plats de viande et de légumes mixés. Elle leur fait découvrir les saveurs et les textures des aliments. Elle leur apprend à prendre soin d'eux. Au moins un petit peu. La douceur de cette scène pourrait presque faire oublier qu'ils sont arrivés ici avec trois, quatre vêtements dans un sac poubelle égarés, se demandant ce qu'on allait encore leur faire." 
(AT. Nouveaux arrivés. Foyer de Terre Neuve 1992.) 

"Sur la droite, on voit un groupe d'enfants, des livres à la main. Près des rayonnages, il y a deux femmes, face à face. La scène est surprenante. La plus âgée, vêtue d'un manteau de fourrure noire, est visiblement en train de gifler une employée en blouse bleue.On a du mal à imaginer cette scène dans une bibliothèque, pourtant c'est monnaie courante. Pas tant la violence, mais les insultes, cela arrive. En regardant plus attentivement, on voit que l'employée a légèrement levé son bras. Pour rendre la gifle, par réflexe. Mais quand on est employée municipale, oeil pour oeil, dent pour dent, ce n'est pas possible. Dans le service public, le contact avec les usagers n'est pas chose facile. il faut rester maître de soi, fermer son clapet. Aujourd'hui, notre employée giflée porterait plainte. Mais là, on peut imaginer que sa hiérarchie étouffera l'affaire. Peut-être même prétendront-ils avoir reçu des excuses de la femme en noir. Comme si cela pouvait effacer la souffrance, l'humiliation! Manteau de fourrure contre blouse bleue, décidément rien ne change. Les chefs sont-ils assez sots pour croire qu'on avale leurs couleuvres, même bien emballées? Double peine: celle de la violence et celle du mépris."
(AVM. La baffe. Mairie de Saint-Nazaire (bibliothèque) années soixante.) 

 "Par un matin d'été, il arrive du Pouliguen par le train ouvrier. Parmi les milliers de réfugiés nazairiens, il se dirige vers les chantiers de Penhoët. C'est un gamin de 18 ans, noyé dans cette marée humaine, ce flot énorme de vélos. C'est un choc, cette ville ouvrière. Il est surpris: tout le long des trottoirs, il n'y a que des cafés. Des centaines d'hommes y entrent et en sortent. On sait que sur les zincs, les billards, les grandes tables, des mètres de verres sont alignés. La journée, on la commence par "s'e jeter un" vite fait. Le soir, à la débauche, on peut voir trois mètres de vélos s'entasser devant les cafés. Pas de paiement, il y a l'ardoise. Et à la quinzaine, il y a la paie: le "petit gris", un papier numéroté. Certains savnet aussi la boire. On peut voir des scènes dramatiques, pathétiques, des femmes et des enfants devant ces cafés pour choper l'homme et quelques sous. Le chèque bancaire mettra fin aux chopines, et les cafés s'éteindront."
(MMR. Pause café. Chantiers de l'Atlantique.1947)


"Il est transi de froid, ses vêtements trop grands pour lui sont trempés, il semble épuisé. Il est très jeune, 14 ans à peine, plutôt fluet, le regard sombre, les mâchoires serrées. On devine déjà en lui la colère, la révolte et la détermination. Lui qui voulait être électricien, il tire encore et toujours la charrette à bras du Pouliguen à la gare de La Baule, où il la remplit de cuivre, de tubes, de plomb et de ferraille avant de repartir vers Le Pouliguen. Une demi-journée pour faire le voyage. Et la pendule du Pouliguen qui sonne tous les quarts d'heure.Quand il arrive sur la place du village, la montée est trop rude, les gens viennent l'aider à pousser, tirer son chargement, même le flic quand il est là.  Puis après ce n'est pas fini, il faut trier, ranger les matériaux.
Un jour, il en a marre: il va aux Prud'hommes, un couvreur à témoigné en sa faveur."
(AC. La Baule/ Le Pouliguen. SIDES. 1951.)

2 commentaires:

  1. On oublie comment c'était dur, le travail, comment "ils" se sont battus pour qu'on ne connaisse pas la même pénibilité, en face des fauves aux dents acérées qui n'en ont jamais assez, qui en veulent toujours plus !

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  2. et c'est l'éternel combat pour le droit à la dignité
    hélas jamais gagné...

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