"Assis à la terrasse d'un bar du quai de la Fosse, par exemple, au centre exact de Nantes et des terres émergées de l'hémisphère nord, on peut être satisfait d'avoir Los-Angeles sur sa droite à 9500 kms et Vladivostok à 9500 kms à main gauche.
Satisfait de savoir que ces eaux lisses et argentées de la Loire, là, devant soi, marquent la limite nord du vin, que la ville est posée sur l'ancienne frontière avec la zone "bière et cidre" comme ailleurs sur le globe les marins pointent d'autres ports à la limite des zones rhum et whisky, pisco et chicha, saké et vodka, tous ces breuvages supposés guérir la fièvre sentimentale et portuaire des départs.
Mais à Nantes, c'est justement le port qui a filé le premier. il s'est écarté du quai de la fosse pour descendre le long de l'estuaire vers Saint-Nazaire et l'océan.
Glissant au milieu de fleuve, à la passerelle d'une embarcation de faible tonnage, coupant successivement a route des bacs d'Indre puis du Pellerin, il est aisé de constater que la rive nord de l'estuaire accomplit les prophéties du visionnaire nantais Jules Grandjouan , héritier farfelu de Jules Verne (et un temps l'amant d'Isadora Duncan, mais c'est une autre histoire) qui rêvait déjà d'un "Nantes-Naz une seule ville! un seul port de la bouche océane au premier gué...Rive droite une ville couloir ou l'autostrade sépare net la ville industrielle des quais, où sont les docks et ateliers, de la vie de la campagne où sont les demeures..."
Voyait-il dans sa boule de cristal ces paysages d'une beauté industrieuse et futuriste, les T.G.V. filant sur leurs rails de vif-argent, frôlant les torchères et les cuves de stockage de la raffinerie de Donges, longeant les grues et les portiques, les conteneurs empilés, les pétroliers et les méthaniers à quai des terminaux de Montoir, jusqu'à Saint-Nazaire et les usines d'avions Airbus, les paquebots en armement des Chantiers de l'Atlantique, comme un théâtre à grand spectacle sur les moyens de transport terre-air-mer?
Notons cependant que la perspicacité de ce Grandjouan était beaucoup plus faible lorsqu'il tournait sa boule de cristal vers le sud: "Rive gauche, zone franche de Retz, série de ports francs, loués aux régions du centre d'Europe..." Rien de cette démesure industrialo-portuaire n'est venu jusqu'à ce jour troubler la tranquillité des roselières et des étiers de la rive gauche, le vol lent des hérons ni la marche vive des avocettes sur les vasières, ni l'ablette ni le goujon qu'on pêche au Migron, dans le canal de la Martinière, à l'ombre des grands arbres, la bouteille de gros-plant bien au frais scintillant dans l'eau comme un appât. Le seul bouleversement récent est ici ornithologique, peut-être climatique et les premiers pêcheurs à la ligne qui virent passer le premier vol d'ibis crurent avoir plongé par mégarde leur bouteille dans les eaux du Nil.../..."
à suivre...
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