Et maintenant, puisque vous avez été sages, je vais vous raconter une petite histoire, à se chuchoter la nuit ou tout au moins dans la pénombre quand la lumière vacille et que les mots et les gestes ne prennent plus tout à fait le même sens. Cette histoire là, je l'ai trouvée dans une revue qui s'appelle- le lien social-une revue professionnelle en somme, sauf que, au delà de considérations "techniques" on y trouve aussi des tranches de vie à se tartiner quand on a envie et qui ouvrent l'espace comme un courant d'air salutaire et les yeux, sur un monde tellement proche qu'il nous est souvent complètement inconnu. écoutez plutôt
-La Fée qui luttait contre ses démons-
« Je me permets de vous envoyer un texte que j’ai écrit en rentrant d’une soirée de travail. J’ai 34 ans, je suis éducateur dans un internat qui accueille des adolescents. L’idée de vous le faire parvenir m’est venue suite à une réflexion que je me suis fait récemment : qui sera témoin de ces petits miracles qui arrivent régulièrement au cours de notre travail d’accompagnement ? Je me suis donc dit qu’il fallait écrire et, aujourd’hui, je me dis qu’il faudrait le faire lire : encore ce canapé, cette lumière tamisée et la fée qui apparaît à une heure indue de la soirée, tandis que je ne m’y attendais plus. Parfois, vous savez, j’ai envie de laisser tomber, de baisser les bras, de céder à sa force qui cherche à me faire ployer. Parfois je me dis : « A quoi bon, elle ne veut pas de mon aide, elle pense que je ne peux rien pour elle, elle pense que personne ne peut rien pour elle, même pas elle…Alors je me dis de laisser tomber d’attendre silencieusement les vacances de l’été. Mais là, la fée est reparue. Elle s’assied à côté de moi, prétexte qu’elle doit attendre que le sèche-linge finisse son œuvre. Elle s’assied les jambes en tailleur, regarde face à elle cette télé qui n’est allumée que pour calmer en moi les flux et reflux de l’océan qui s’est déchaîné contre mon âme au cours de cette soirée. Un océan d’énergie déployée à tenir le cadre, à écouter, à intervenir ou à me contenir, à faire rire puis à revenir à des mots plus sérieux…vingt ou trente marées dans une seule soirée. Elle regarde la télé et je ne dis rien, penché sur les comptes, je me suis installé dans le canapé pour m’octroyer enfin un peu de tranquillité ; lutins et fées sont depuis une heure couchés. Je ne dis rien, j’attends le moment opportun. C’est ainsi avec les fées, vous le savez. Il faut faire preuve de beaucoup de discernement et de délicatesse. Un mot trop tôt, une intention trop vive et hop ! C’est une fée qui s’enfuit. Et c’est elle qui parle la première, c’est elle qui me demande « tu t’en sors ? » Je souris et lui retourne la question, dans cette lumière tamisée et cette fin de soirée épuisée. –et toi, tu t’en sors ? Je perçois la soudaine raideur de son corps, l’épaississement de sa peau qui cherche à la protéger. Après un an passé ensemble, elle craint encore que je puisse l’atteindre. On ne change pas de vieilles habitudes aussi facilement. –Normal, répond-elle. « normal » comme je déteste ce mot qui ne veut rien dire, qui sert à ne rien dire, à mettre à distance. Elle le sait et je poursuis son jeu « Bon, tant mieux » Et puis je lui pose une question celle qui va déclencher cette incroyable conversation. Question anodine en apparence qui suit pourtant le fil d’Ariane conduisant petit à petit, mot après mot, au cœur de la Fée, au cœur de ses souffrances qu’elle met tant d’énergie à dissimuler. Et pour la première fois, en toute simplicité, avec honnêteté, elle se risque à dire que la vie est dure, que la sienne est terriblement injuste, qu’elle en voudrait une autre ; échanger. Elle dit : « Tu sais, j’entends ce que tu me dis…et je sais que tu as raison. Mais je ne peux pas. Je ne peux pas te dire, je ne peux pas mettre les mots sur ce que j’ai vécu » Bon dieu l’Océan ! l’Océan en moi qui se déchaîne à nouveau ; je me dis que je vais y rester ! Je me dis « Tu va finir par en crever de ce métier, de ces marées ! » La Fée est là, à quelques encablures de bras, toute pâle, auréolée de son honnêteté si souvent voilée. Elle continue : « Si je parle, si je dis, je sais que ça va réveiller tous mes démons « Et moi de répondre : -Tu sais la Fée, tes démons ne vont pas se réveiller, ils ne se sont jamais endormis.- Elle me jette un regard surpris et doucement j’agis : -Tes démons ils sont là, dans les jurons que tu n’arrives pas à réprimer, dans tes façons d’être en relation avec les autres, dans tes fatigues que tu n’expliques pas et qui te pousses à te coucher à cinq heures de l’après-midi, dans la démotivation dont tu parles depuis des jours. Tes démons, ils sont là, la Fée, et tu tentes de nous faire croire qu’ils sont enfouis, passés. Tu sais, la Fée, je rêve que tu arrives à les sortir de toi ces démons et pour ça, seuls les mots t’y aiderons. Là où quelques semaines plus tôt elle aurait dit défendue : « tu te prends pour mon psy ou quoi ? » Elle répond « Je sais » et je ne peux dire si l’Océan frappait plus fort ou était soudain plus froid, mais je fus parcouru d’un frisson. Je me tais. J’attends, bienveillant. Je veille bien, en attendant. Elle ajoute : « Je ne comprends pas pourquoi vous ne vous découragez pas. Il n’y en a que deux comme ça : mon psy et toi. » J’éclate de rire. Je lui dis que c’est parce qu’elle nous émeut. Elle pense qu’elle ne mérite pas la bienveillance. Les démons du passé. La fée se lève et termine : « Je suis claquée, je vais me coucher. » Je lui réponds que j’ai été content d’avoir eu cette conversation avec elle. Et comme elle ne peut pas le dire elle- même, elle me souhaite bonne nuit. Dans le sèche- linge, les vêtements sont restés. Je n’ai plus rien envie de laisser tomber ! » –D.G.-
« Je me permets de vous envoyer un texte que j’ai écrit en rentrant d’une soirée de travail. J’ai 34 ans, je suis éducateur dans un internat qui accueille des adolescents. L’idée de vous le faire parvenir m’est venue suite à une réflexion que je me suis fait récemment : qui sera témoin de ces petits miracles qui arrivent régulièrement au cours de notre travail d’accompagnement ? Je me suis donc dit qu’il fallait écrire et, aujourd’hui, je me dis qu’il faudrait le faire lire : encore ce canapé, cette lumière tamisée et la fée qui apparaît à une heure indue de la soirée, tandis que je ne m’y attendais plus. Parfois, vous savez, j’ai envie de laisser tomber, de baisser les bras, de céder à sa force qui cherche à me faire ployer. Parfois je me dis : « A quoi bon, elle ne veut pas de mon aide, elle pense que je ne peux rien pour elle, elle pense que personne ne peut rien pour elle, même pas elle…Alors je me dis de laisser tomber d’attendre silencieusement les vacances de l’été. Mais là, la fée est reparue. Elle s’assied à côté de moi, prétexte qu’elle doit attendre que le sèche-linge finisse son œuvre. Elle s’assied les jambes en tailleur, regarde face à elle cette télé qui n’est allumée que pour calmer en moi les flux et reflux de l’océan qui s’est déchaîné contre mon âme au cours de cette soirée. Un océan d’énergie déployée à tenir le cadre, à écouter, à intervenir ou à me contenir, à faire rire puis à revenir à des mots plus sérieux…vingt ou trente marées dans une seule soirée. Elle regarde la télé et je ne dis rien, penché sur les comptes, je me suis installé dans le canapé pour m’octroyer enfin un peu de tranquillité ; lutins et fées sont depuis une heure couchés. Je ne dis rien, j’attends le moment opportun. C’est ainsi avec les fées, vous le savez. Il faut faire preuve de beaucoup de discernement et de délicatesse. Un mot trop tôt, une intention trop vive et hop ! C’est une fée qui s’enfuit. Et c’est elle qui parle la première, c’est elle qui me demande « tu t’en sors ? » Je souris et lui retourne la question, dans cette lumière tamisée et cette fin de soirée épuisée. –et toi, tu t’en sors ? Je perçois la soudaine raideur de son corps, l’épaississement de sa peau qui cherche à la protéger. Après un an passé ensemble, elle craint encore que je puisse l’atteindre. On ne change pas de vieilles habitudes aussi facilement. –Normal, répond-elle. « normal » comme je déteste ce mot qui ne veut rien dire, qui sert à ne rien dire, à mettre à distance. Elle le sait et je poursuis son jeu « Bon, tant mieux » Et puis je lui pose une question celle qui va déclencher cette incroyable conversation. Question anodine en apparence qui suit pourtant le fil d’Ariane conduisant petit à petit, mot après mot, au cœur de la Fée, au cœur de ses souffrances qu’elle met tant d’énergie à dissimuler. Et pour la première fois, en toute simplicité, avec honnêteté, elle se risque à dire que la vie est dure, que la sienne est terriblement injuste, qu’elle en voudrait une autre ; échanger. Elle dit : « Tu sais, j’entends ce que tu me dis…et je sais que tu as raison. Mais je ne peux pas. Je ne peux pas te dire, je ne peux pas mettre les mots sur ce que j’ai vécu » Bon dieu l’Océan ! l’Océan en moi qui se déchaîne à nouveau ; je me dis que je vais y rester ! Je me dis « Tu va finir par en crever de ce métier, de ces marées ! » La Fée est là, à quelques encablures de bras, toute pâle, auréolée de son honnêteté si souvent voilée. Elle continue : « Si je parle, si je dis, je sais que ça va réveiller tous mes démons « Et moi de répondre : -Tu sais la Fée, tes démons ne vont pas se réveiller, ils ne se sont jamais endormis.- Elle me jette un regard surpris et doucement j’agis : -Tes démons ils sont là, dans les jurons que tu n’arrives pas à réprimer, dans tes façons d’être en relation avec les autres, dans tes fatigues que tu n’expliques pas et qui te pousses à te coucher à cinq heures de l’après-midi, dans la démotivation dont tu parles depuis des jours. Tes démons, ils sont là, la Fée, et tu tentes de nous faire croire qu’ils sont enfouis, passés. Tu sais, la Fée, je rêve que tu arrives à les sortir de toi ces démons et pour ça, seuls les mots t’y aiderons. Là où quelques semaines plus tôt elle aurait dit défendue : « tu te prends pour mon psy ou quoi ? » Elle répond « Je sais » et je ne peux dire si l’Océan frappait plus fort ou était soudain plus froid, mais je fus parcouru d’un frisson. Je me tais. J’attends, bienveillant. Je veille bien, en attendant. Elle ajoute : « Je ne comprends pas pourquoi vous ne vous découragez pas. Il n’y en a que deux comme ça : mon psy et toi. » J’éclate de rire. Je lui dis que c’est parce qu’elle nous émeut. Elle pense qu’elle ne mérite pas la bienveillance. Les démons du passé. La fée se lève et termine : « Je suis claquée, je vais me coucher. » Je lui réponds que j’ai été content d’avoir eu cette conversation avec elle. Et comme elle ne peut pas le dire elle- même, elle me souhaite bonne nuit. Dans le sèche- linge, les vêtements sont restés. Je n’ai plus rien envie de laisser tomber ! » –D.G.-
C'est tout simplement très beau.
RépondreSupprimeret puis ça fait du bien, comme une isle dans l'océan du doute... :-)
RépondreSupprimermerci pour ce texte
RépondreSupprimer... un éduc