"Un jour viendra où l'homme devra combattre le bruit avec autant de force qu'il a combattu le choléra ou la peste."
Robert Koch-prix Nobel de biologie-1905-
"Les hommes, pense-t-on aujourd'hui, n'ont qu'à aller à la campagne pour voir "le calme de la nature" et profiter du silence.
Mais les hommes n'y rencontrent point le silence; au contraire, ils portent dans la campagne le tapage de la grande ville et de leur vie intérieure."
Max Picard extrait de: "Le monde du silence"
"Pour la première fois dans l'histoire de l'évolution les sons faibles, ceux qui sont les plus importants, sont soustraits à notre existence quotidienne.
Le spectre de la pollution sonore n'est pas le même que celui des sons naturels. Si l'on jette un oeil aux ondes sonores naturelles, elles ressemblent à des vagues, elles sont douces.
Les ondes des sons modernes et mécaniques ont la forme de dents aiguisées.
L'oreille humaine n'est pas faite pour entendre des ondes de ce type."
Gordon Hempton
Sources: "Un peu de silence s'il vous plait" par Mathieu Giroux-Marianne-Agora Société- n'°1209
Dents
le journal du matin: LIBE:
"J’ai si bien vécu le confinement que là, j’ai comme un deuil à faire,
totalement inattendu. Les premiers jours, j’étais comme tout le monde,
en état de sidération. D’ailleurs, je n’ai pas lu pendant une semaine,
ce qui ne m’arrive jamais. Et puis, probablement que mon esprit a trouvé
ce qui allait lui faire du bien. Dès le lundi, je suis sortie marcher
et faire des courses avec mon fils et à partir de là, c’est une
parenthèse enchantée qui s’est ouverte, chez moi et dans Paris. J’habite
en bas de Montmartre et soudain, j’ai pu arpenter seule ou quasiment,
et dans le silence, ce quartier habituellement bondé de touristes. Je ne
l’avais jamais vu comme ça, je l’ai découvert. Chaque jour pendant deux
mois, j’ai donc marché, sans jamais dépasser le périmètre du kilomètre,
c’était une échappée extraordinaire. Un privilège immense.
«J’ai aussi la chance que mon appartement donne sur un square et sur
un jardin. Du coup, j’ai assisté au réveil de la nature au printemps, il
remontait des odeurs de terre, on entendait les grillons… Ça avait une
magie incroyable. Je n’ai pas du tout regretté de n’être pas partie me
confiner dans ma maison de campagne. Au contraire, cette expérience m’a
rapprochée de Paris, qui n’était plus juste une cité de béton et de
bars. J’entrevoyais le Paris d’avant, son histoire. Du coup, alors qu’on
était empêchés, j’ai ressenti une grande sérénité, avec un sentiment de
grande liberté intérieure, tout en étant parfaitement consciente de
la crise sanitaire et de ses conséquences sociales et économiques -
comme je travaille dans l’édition, j’en fais aussi les frais avec la
fermeture des librairies pendant deux mois. Tout en étant convaincue
qu’il faut que tout redémarre, j’ai eu un gros coup de mou hier en
constatant que ça reprenait, le bruit, les gens dans la rue, même
s’il n’y a pas encore foule. J’ai conscience que j’ai été
ultra-privilégiée de vivre le confinement comme ça, je le disais à mon
fils : "Profite bien, on ne revivra jamais un moment pareil."»"
Olivia
Le livre donnant envie
(oui mais de quoi? ndc)
Extraits:
" La fenêtre donne sur la guerre qui a décimé mon enfance, la fenêtre
donne sur les cris de ma mère. Mes mains empoignent la crémone mais,
vidées de leurs forces, elles retombent feuilles mortes. Je dois sauter
dans le vide pour rejoindre le jadis. Peut-être suis-je au
rez-de-chaussée car des massifs de roses et des sapins maigres me font
face. J’ai l’âge de la pluie qui se met à tomber, j’ai cent fois l’âge
du pigeon qui débusque des vers de terre entre les dalles de la cour,
entre les dalles de ma mémoire. Un pas me coûte une vie. De la table au
lit s’étend le désert du Sahara. Le plus têtu, c’est mon pied gauche qui
fait mine de se diriger vers la droite puis suspend son vol. Certains
de mes membres sont caractériels, surtout à l’approche du soir.
Voulez-vous vous distraire, Sarah, prendre un bain d’images
télévisuelles ? Comment expliquer à l’aide soignante que je ne veux plus
du dehors ? Que plus rien ne filtre du monde, voilà mon souhait, que
rien ne contrarie mon grand retrait. Je travaille à faire le vide en
moi, à me dépeupler de tout. L’actualité politique, les faits divers, la
météo, les livres, les connaissances, le genre humain, tout passe
par-dessus le parapet.
Je veux brouter mes pensées
en paix, pensées en charpie, mie d’idées à donner aux deux chats qui me
rendent visite, mais sont-ce bien des chats ? La vue, la vie me jouent
des tours. Sarah, vos chaussettes sont trouées, demandez à votre fille
d’en acheter. Non, mademoiselle, c’est mon cerveau qui est troué, un
vrai gruyère. S’il vous plaît, laissez-moi me délester du bruit du monde
et m’acclimater à mon terrier. Mon seul problème : je ne parviens pas à
me détacher de la peur. Une tare familiale, ce talent pour se noyer
dans la panique."
"Qui êtes-vous, mademoiselle ? Que faites-vous sur mon lit où j’attends
celui qui n’a jamais voulu se marier avec moi ? Je porte les crimes de
ma famille sur mes épaules, c’est pourquoi je suis voûtée. Le prénom de
mon père ? Il s’est envolé. Du J initial je suis à peu près sûre. Les
mots s’enfuient de chez moi ou bien arrivent tout emmêlés. Quand on
atteint mon âge, on s’allège du superflu. Les quatre à cinq dents qui me
restent en ont marre de ma bouche. Parquées au même endroit depuis
presque un siècle ça les déprime, alors elles se défenestrent.
Normalement, les termes précis du style « défenestrent », je les laisse à
ma fille qui déteste l’à-peu près dans la vie. Enfant, elle me
torturait des heures durant, m’interrogeant sur le sens des mots. Un
escabeau, c’est quoi, maman ? Une sorte de bateau à trois mâts et demi
je pense. La précision du « demi », c’est ça qui l’épatait. J’avais
tenté d’enterrer le flamand mais mon français était nimbé de flou. Les
noms des oiseaux, des plantes, les verbes rares, les locutions typiques,
les proverbes, le vocabulaire culinaire composaient les cases mortes
dans la langue que j’avais choisi d’épouser. Une erreur dans l’emploi
d’une préposition et la môme pleurait, agrippée des après-midi entières à
un dictionnaire que j’avais volé au bureau à sa demande. Qu’on ait vécu
des années dans un appartement dépourvu du Petit Robert, c’est ça qui
l’a désaxée à jamais. À la fin de l’école primaire, elle minaudait
« maman, aux taxidermistes, aux empailleurs du langage qui le parquent à
la morgue, je dois soustraire un maximum de spécimens sauvages, libres,
je dois les réanimer, leur redonner vie. Tu comprends ma mission ? ».
Je
détestais être mère, elle ne voulait pas une maman mais une
encyclopédie. On aurait pu bien s’entendre au lieu de se saccager enfer.
Quand j’emploie un mot exact, j’en veux à ma fille de m’avoir
contaminée. Passereau, goéland, ibis, vous voyez vraiment une
différence ? Pour faire paniquer ma fille à mort, il me suffisait
d’accoler n’importe quelle image à un nom. Des guêtres tu dis ? Ça doit
être un instrument pour faire le guet. Dans une de tes chansons de
variété, le refrain répète « que je sois en liesse » ? Sûrement un
nouveau terme pour dire une laisse. Une langue ça bouge très vite tu
sais. Chaque nuit, pendant que tu dors, il y a au minimum cinq spécimens
qui naissent. Dangereux de dire cela à ta gamine, me disait mon amant
criminologue, elle dort déjà avec le Larousse et le Bescherelle dans son
lit et dresse des listes de mots dans ses cahiers d’écolière.
Moi,
je vois tout en approximatif, le physique des hommes, la résonance des
mots, les périodes historiques, les zones géographiques. D’ailleurs,
votre visage est vague, mademoiselle ? Quand il passe dans mon cerveau,
le monde doit perdre son ordre. Seules mes peurs ont une précision
pharaonique. « Pharaonique », c’est pas de moi qu’il vient cet adjectif.
Mon lot d’épithètes est plutôt étroit. Il n’y a que les écrivains qui
s’encombrent de cinq mille mots et traitent de haut les propriétaires
moins fortunés de mon genre. Vous être riche de combien de vocables,
mademoiselle ? Votre compte en banque lexico-sémantique atteint quel
montant ?"
" Mademoiselle, un conseil : n’ayez jamais d’enfant, un mioche ça bousille
la vie, c’est une catastrophe, une apocalypse qui s’abat sur vous, un
boulet que l’on traîne des décennies. En accordant une liberté totale à
ta gamine, à ne pas lui imposer de limites, de bornes, tu risques de la
déséquilibrer, d’affoler son angoisse, d’en faire une inadaptée
chronique à la société, à l’existence me répétait un amant psychiatre.
Ça la regarde si, à cinq ans, ma fille suce mes bijoux, mange ses
cheveux, trichotillomanie réactionnelle m’avait dit ce même amant, c’est
son affaire si elle dort dans une boîte en carton, parle aux fantômes
et dessine sur les murs, sur les armoires, sur son corps. Le jour où
elle m’a demandé « maman, c’est mieux de me lancer dans le patinage ou
de faire du poney ? », je lui ai balancé « tu fais ce que tu veux, nul
n’en a cure. Tu t’adonnes aux claquettes, à l’ocarina sans trous, à
l’élevage de limaces, je m’en fous, du moment que TU ME FICHES LA
PAIX ».
Personne ne m’a montré comment survivre dans
la campagne brabançonne, personne n’a écouté mon calvaire, alors, pas
question que je donne à ma fille ce que je n’ai jamais reçu. Un aveu
tardif : laisser mon enfant à l’état sauvage n’était même pas un
programme, juste une impossibilité de fonctionner autrement. Je retire
une certaine fierté de lui avoir enseigné une seule chose par voie de
contamination directe : s’alarmer pour un rien, se noyer devant une
tasse de Cécémel, douter d’être dans la veille ou le sommeil, la vie ou
la mort.
Un conseil, mademoiselle : n’engendrez
jamais. Un moutard, ça vous désagrège. Déjà fœtus, il dévore votre
oxygène et sa naissance vous signale qu’il vous précipite dans la tombe."
Je redescends sous la barre des 40 kg, sous la barre des cent mots. Je
laisse à ma fille le soin de faire des provisions langagières, de
stocker ses trésors dans des boîtes de conserve, dans le congélateur.
Même mon prénom qui pourrit par ses deux « a », je le jette volontiers
aux orties. Le seul vocable que je tiendrai en réserve et calerai entre
mes joues, c’est « jamais ».
extraits de: "Jamais" de Véronique Bergen source Lundimatin
"Dans mon pays, les tendres promesses du printemps et les oiseaux mal habillés sont préférés aux buts lointains." René Char
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Photo source ETC-ISTE
"je suis de l'autre côté du pont
je suis là je vous vois mais de loin
toujours de l'autre côté du pont
les fleurs sont lourdes de pluies
elles ploient jusqu'à la boue
il y a des orties en batailles
des herbes hautes et des buissons
il y a des silences tout au fond
des petits rongeurs trempés
qui font toilette
à leurs secrets d'oiseaux blessés
et puis des araignées qui portent
leurs milliers d'enfants
ou d'autres curieux insectes
ils savent briller
en dévalant nos souvenirs
ils ont leurs petites vies
leurs petits jeux
leurs petits mondes
qui en valent bien d'autres
et qui ne valent rien
dans nos sourires d'espoir rouillé
comme dans un cimetière tout vert
il y a un trou derrière mes yeux
qui mène de l'autre côté de la galaxie
vers le vide et le noir infini
je suis de l'autre côté du pont
je suis là je vous vois mais de loin
vous êtes beaux et dégoutants
vous êtes bizarre comme des questions
qui marchent avec la fierté d'une autruche
je vous salue de l'autre côté du pont
de l'autre côté du cimetière tout vert
de l'autre côté du trou derrière mes yeux
je ne sais pas de qui j'ai le plus peur
de vous
de moi
ou du pont"
Thomas Vinau-ETC-ISTE
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Illustration source: Kedistan
L’oiseau qui chante avec la langue coupée
"Es-tu cette inconnue
Qui dresse son chant vers le haut lendemain
Cette femme de lumière
Aux ailes brisées ?
Es-tu cette flamme
Qui rêve d’allumer la neige
A la musique
Cette inconnue qui pleure
Dans un jour trop beau
Celle qui soulève les morts
Dans ses douces mains de potier
Es-tu cette ombre d’être
Quand la beauté de ton chant
Fondait sur ta langue assassinée
Cette inconnue
Cette femme de lumière
Née de chaque aurore
Qui a lancé sa joie
A tous les vents
L’oiseau à la langue coupée
chante
A hauteur des sommets"
Nùdem Durak-source: Kedistan
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