"Je ne crois pas en l'homme, mais en sa capacité à obtenir des réussites qui rendent l'humanité meilleure."
Albert Jacquard
" [...]
si je n'ai pas d'espoir, si je suis désespéré, alors ça ne vaut vraiment pas la peine de vivre. Est-il possible que demain soit meilleur qu'aujourd'hui?
Ma réponse est en pure logique: oui, évidemment. Et de qui cela dépend-il?
De moi, de chacun de nous, c'est à dire de quelques autres qui sont 7 milliards. Je n'ai pas le droit d'être pessimiste car cela signifierait que j'abandonne l'humanité à son cours absurde.
Etre un utopiste, c'est essayer d'avoir un avenir lointain raisonnable."
Albert Jacquard extrait d'un entretien avec Chantal Cabé
-source "L'atlas des Utopies" Le monde/La Vie- hors-série
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lu sur le site de: Libé
"Tribune. Je suis en colère et j’ai
la rage, quand ils défilent dans les médias, montrent leur trogne à la
télévision, font entendre leur voix parfaitement maîtrisée à la radio,
livrent leur discours dans les journaux. Toujours pour nous parler d’une
situation dont ils sont un facteur aggravant, toujours pour pérorer sur
la citoyenneté, sur le risque de récession, sur les responsabilités des
habitants, des adversaires politiques, des étrangers… Jamais pour nous
présenter leurs excuses, implorer notre pardon, alors même qu’ils sont
en partie responsables de ce que nous vivons.
Je suis en colère et j’ai la rage, car en tant que psychologue dans
l’hôpital le plus touché, celui de Mulhouse, je vois toute la journée
des dizaines de personnes arriver en urgence dans nos locaux, et je sais
que pour une bonne partie d’entre elles, elles n’en ressortiront pas
vivantes, souriantes, insouciantes, comme ce pouvait être le cas il y a
encore deux semaines.
Je suis en colère et j’ai la rage, car je sais que ces personnes, ces
êtres vivants, ces frères et sœurs, pères et mères, fils et filles,
grands-pères et grands-mères, mourront seules dans un service dépassé,
malgré les courageux efforts des soignants ; seules, sans le regard ou
la main de ceux et celles qui les aiment, et qu’ils aiment.
Je suis en colère et j’ai la rage, devant cette situation folle qui
veut que nous laissions nos aînés, nos anciens, ceux et celles qui ont
permis que notre présent ne soit pas un enfer, ceux et celles qui
détiennent un savoir et une sagesse que nul autre n’a ; que nous les
laissions donc mourir par grappes dans des maisons qui n’ont de retraite
que le nom, faute de pouvoir sauver tout le monde, disent-ils.
Le deuil impossible des familles
Je suis en colère et j’ai la rage, en pensant à toutes ces familles
qui vivront avec la terrible douleur d’un deuil impossible, d’un adieu
impossible, d’une justice impossible. Ces familles auxquelles on ne
donne pas accès à leur proche, ces familles qui appellent sans cesse les
services pour avoir des nouvelles, et auxquelles aucun soignant ne peut
répondre, trop occupé à tenter une intervention de la dernière chance.
Ces familles qui sont ou pourraient être la nôtre…
Je suis en colère et j’ai la rage, quand je vois mes collègues
soignants se battre, tous les jours, toutes les minutes, pour tenter
d’apporter de l’aide à toutes les personnes qui se retrouvent en
détresse respiratoire, y perdre une énergie folle, mais y retourner,
tous les jours, toutes les minutes. Je suis en colère et j’ai la rage,
devant les conditions de travail de mes collègues brancardiers, ASH,
secrétaires, aides-soignants, infirmiers, médecins, psychologues,
assistants sociaux, kinés, ergothérapeutes, cadres, psychomotriciens,
éducateurs, logisticiens, professionnels de la sécurité… car nous
manquons de tout, et pourtant, il faut aller au charbon.
Je suis en colère et j’ai la rage, car, lorsque je me rends à mon
travail, et lorsque j’en pars, je croise en quelques minutes trois ou
quatre véhicules d’urgence, transportant une personne pleine de l’espoir
d’être sauvée… Comment ne pas avoir confiance dans nos hôpitaux ? Ils
sont à la pointe, ils sont parfaitement en état de fonctionner, de
protéger, de guérir… et pourtant, combien de ces ambulances mènent leur
passager vers leur dernier lieu ? Combien de ces patients refranchiront
la porte sains et saufs ?
Je suis en colère et j’ai la rage, car cela fait des années que nous
crions notre inquiétude, notre incompréhension, notre dégoût, notre
mécontentement, devant les politiques de santé menées par les différents
gouvernements, qui ont pensé que l’hôpital était une entreprise comme
une autre, que la santé pouvait être un bien spéculatif, que l’économie
devait l’emporter sur le soin, que nos vies avaient une valeur
marchande.
Je suis en colère et j’ai la rage quand je constate que nos services
d’urgences demandent de l’aide depuis si longtemps, quand je pense que
les personnes qui arrivent avec le Samu posent leur regard (souvent le
dernier sur l’extérieur) sur ces banderoles disant «URGENCES EN GRÈVE»,
qu’elles se trouvent face à des médecins traitants à la retraite du fait
du départ des urgentistes, ces spécialistes de l’urgence qui seraient
tant nécessaires en ces jours sombres…
De l’exploitation des étudiants infirmiers
Je suis en colère et j’ai la rage devant la manière dont on exploite
nos étudiants en soins infirmiers ou aides-soignants, qui se retrouvent à
faire des travaux d’une dureté que je ne souhaiterais pas à mon pire
ennemi, qui, a à peine 20 ans, doivent mettre les corps de nos morts
dans des sacs mortuaires, sans préparation, sans soutien, sans qu’ils et
elles aient pu se dire volontaires. Pourquoi demander ? Cela fait
partie de leur formation, voyons ! Et ils devraient s’estimer heureux,
ils reçoivent une gratification de quelques centaines d’euros, vu qu’ils
interviennent en tant que stagiaires.
Je suis en colère et j’ai la rage, car la situation actuelle est le
fruit de ces politiques, de ces fermetures de lits comme ils aiment le
dire, oubliant que sur ces lits, il y avait des humains qui en avaient
besoin, de ces putains de lits ! De ces suppressions de postes, parce
qu’un infirmier, c’est cher, ça prend de la place sur le budget
prévisionnel ; de ces externalisations de tous les métiers du soin,
puisqu’un ASH en moins dans les chiffres du nombre de fonctionnaires,
c’est toujours un fonctionnaire en moins dont ils peuvent
s’enorgueillir.
Je suis en colère et j’ai la rage, car celles et ceux qui sont au
boulot tous les jours, malgré la peur ancrée au ventre, peur d’être
infecté, peur de transmettre le virus aux proches, peur de le refiler
aux autres patients, peur de voir un collègue sur le lit de la chambre
10 ; celles-ci et ceux-là se sont fait cracher dessus pendant des années
dans les discours politiques, se sont retrouvés privés de leur dignité
lorsqu’on leur demandait d’enchaîner à deux professionnels tous les
soins d’un service en quelques minutes, bousculés dans leur éthique et
leur déontologie professionnelle par les demandes contradictoires et
folles de l’administration. Et aujourd’hui, ce sont ces personnes qui
prennent leur voiture, leur vélo, leurs pieds, tous les jours pour
travailler malgré le risque continu d’être frappées par le virus, alors
que ceux qui les ont malmenés sont tranquillement installés chez eux ou
dans leur appartement de fonction.
Je suis en colère et j’ai la rage, parce qu’aujourd’hui, mon hôpital
fait face à une crise sans précédent, tandis que celles et ceux qui
l’ont vidé de ses forces sont loin. Parce que mon hôpital a été pris
pour un putain de tremplin pour des directeurs aussi éphémères
qu’incompétents qui ne visaient que la direction d’un CHU et qui sont
passés par Mulhouse histoire de prouver qu’ils savaient mener une
politique d’austérité bête et méchante… Parce que mon hôpital a été la
cible d’injonctions insensées au nom d’une obscure certification, pour
laquelle il semblait bien plus important de montrer une traçabilité sans
faille plutôt qu’une qualité de soin humain.
Parce qu’en gros, mon hôpital ne fut rien de plus qu’un cobaye pour
des administrateurs dont seule l’auto-valorisation égoïste avait de
l’importance. Parce qu’au-delà de mon hôpital, ce sont les personnes qui
y sont accueillies qui ont été considérées comme des valeurs
négligeables, des chiffres parmi d’autres, des variables sur la ligne
recettes/dépenses. Parce que dans l’esprit bêtement comptable de la
direction générale de l’organisation des soins, patients et soignants
sont tous dans le même panier d’un lean management des plus écœurants…
Les premiers de cordée et leur respirateur
Je suis en colère et j’ai la rage, quand je me souviens des premiers
de cordée censés tenir notre pays, censés être le fer de lance de notre
pays, censés nous amener, nous, petites gens, vers des sommets ; et que
ce sont ces petites gens, ces caissières de supermarché, ces éboueurs
dans nos rues, ces ASH dans nos hôpitaux, ces agriculteurs dans les
champs, ces manutentionnaires amazone, ces routiers dans leurs camions,
ces secrétaires à l’accueil des institutions, et bien d’autres, qui
permettent aux habitants de continuer de vivre, de se nourrir, de
s’informer, d’éviter d’autres épidémies… Pendant que les premiers de
cordée lorgnent leur respirateur artificiel personnel, le prospectus de
la clinique hi-tech dernier cri qui les sauvera au cas où, regardent les
fluctuations de la Bourse comme d’autres comptent les cadavres dans
leur service.
Je suis en colère et j’ai la rage envers ces hommes et ces femmes
politiques qui n’ont eu de cesse de détruire notre système social et de
santé, qui n’ont eu de cesse de nous expliquer qu’il fallait faire un
effort collectif pour atteindre le sacro-saint équilibre budgétaire (à
quel prix ?) ; que «les métiers du soin, c’est du sacrifice, de la vocation»…
Ces politiques qui aujourd’hui osent nous dire que ce n’est pas le
temps des récriminations et des accusations, mais celui de l’union
sacrée et de l’apaisement… Sérieux ? Vous croyez vraiment que nous
allons oublier qui nous a mis dans cette situation ? Que nous allons
oublier qui a vidé les stocks de masques, de tests, de lunettes de
sécurité, de solutions hydroalcooliques, de sur-chaussures, de blouses,
de gants, de charlottes, de respirateurs (de putain de respirateurs
tellement primordiaux aujourd’hui) ? Que nous allons oublier qui nous a
dit de ne pas nous inquiéter, que ce n’était qu’une grippe, que ça ne
passerait jamais en France, qu’il ne servait à rien de se protéger, que
même pour les professionnels, les masques, c’était too much ?
Que nous allons oublier l’indifférence et le mépris pour ce qui se
passait chez nos sœurs et nos frères chinois, chez nos sœurs et nos
frères iraniens, chez nos sœurs et nos frères italiens, et ce qui se
passera sous peu chez nos sœurs et nos frères du continent africain et
chez nos sœurs et nos frères latino-américains ? Nous n’oublierons pas !
Tenez-le-vous pour dit…
Je suis en colère et j’ai la rage, car je vis depuis une semaine avec
cette satanée boule dans la gorge, cette envie de me prostrer, de
pleurer toutes les larmes de mon corps, quand j’écoute la détresse et la
souffrance de mes collègues, quand ils et elles me parlent du fait de
ne pas pouvoir embrasser leurs enfants parce que personne ne peut être
sûr de ne pas ramener le virus, lorsque s’expriment les moments de
craquage dans la voiture avant et après la journée de travail, quand je
pense aux ravages à venir, psychiquement parlant, lorsque tout ça sera
derrière nous, et qu’il y aura le temps de penser…
Je suis en colère et j’ai la rage, mais surtout un désespoir profond, une tristesse infinie…
Je suis en colère et j’ai la rage, et je ne peux pas les laisser
sortir pour le moment. Elles se tapissent au fond de mon âme, me
consumant à petit feu. Mais sous peu, une fois que ce sera calme, je les
laisserai jaillir, cette colère et cette rage, comme tous ceux et
toutes celles qui les ont enfouies. Et croyez-moi, ce moment viendra.
Elles flamberont, et nous exigerons justice, nous demanderons des
comptes à tous ceux qui nous ont conduits dans ce mur terrible. Sans
violence. A quoi bon ? Non, avec une humanité et une sagesse dont ils
sont dépourvus. Entendez-vous cette petite musique ? Celle qui se
murmure tout bas mais qui monte en puissance ? Ce refrain des Fugees : «Ready or not, here I come ! You can hide ! Gonna find you and take it slowly !» Nous arrivons…"
Claude Baniam (pseudonyme) psychologue à l'hôpital de Mulhouse
Blogueurs en éveil:
Chez:
"Nuage Neuf":
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"Un jour ma vie sera creuse
de vous.
Et dans le creux
je mettrai vos paroles,
la cendre par-dessus,
pour les garder brûlantes.
Et si le vent disperse tout,
dans le creux
je mettrai vos silences
comme une cigarette allumée en secret."
Claire Krähenbühl
Extrait de La rebuse de l’épine noire, L’Aire 1991
Et puis...
.Rendre visite à Frankie qui en a bien besoin :
FRANKIE PAIN
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Photo source: "Bretzel liquide"
"Le pont entre la matière et l'esprit: le Verbe."
Gitta Mallaz
"La conscience est un trait d'union entre ce qui a été et ce qui sera, un pont jeté entre le passé et l'avenir."
Henri Bergson