mardi 5 août 2014

il y a des jours comme ça



-L'épreuve-

"Maxime a dix-sept ans. il passe le bac français. L'angoisse.
Il s'en fout du français, lui il écrit en langage sms. Dès qu'on prononce le mot livre devant lui il a le vertige de l'ennui.
Les yeux qui se croisent les bras. Cependant il a fait des efforts considérables pour apprendre par coeur la liste des textes présentés pour l'occasion. avec en prime une petite fiche bristol pour chaque texte. un mot sur l'auteur, un résumé de l'extrait avec ses thèmes princiapux.
Bon, il se mélange un peu les pinceaux. 
Hier encore il disait à sa mère qu'il ne comprenait pas tout dans " Les mémoires d'outre tombe" de Stendhal. (il écrit stindal mais ça ne s'entend pas.) Sa mère a poussé un cri, évidemmemnt. il a haussé les épaules, il croyait que Chateaubriand c'était in gâteau. Passons.
Faut dire que rien ne le démonte vraiment, à douze ans quand sa mère, cinéphile et stupéfaite, lui avait dit: "Comment Maxime tu ne sais pas qui est Hitler?" il avait répondu du tac au tac: "Si tu crois  que je me souviens du nom de tous les acteurs."
Vous avez dit culture générale?
Bref, peu importe, revenons à la littérature;
Une liste impressionnante, concoctée par quelque intellectuel de service dans sa tour d'ivoire au ministère, sans aucune conscience de l'état de délabrement du terrain. Des auteurs à quelques années lumières et des milliards de sms de nos pauvres enfants.
Les joyeux de la troupe: Corneille, le cardinal de Retz, Chateaubriand donc, Montesquieu et dans les contemporains, on va dire Tristan Corbière par exemple; Les amours jaunes; C'est vrai qu'il y a de quoi se faire de la bile.
Seule lueur dans le tableau, un poème de Baudelaire que Maxime affectionne particulièrement parce qu'il le comprend et qu'il est court: Spleen; ça lui parle à lui la déprime, le ciel bas et lourd qui pèse comme un couvercle. D'ailleurs le drapeau noir il est né avec et le crâne incliné, il l'a en permanence. D'abord parce qu'il est très grand pour son âge, long comme un jour sans pain, ensuite parce que la vie c'est vraiment pas drôle, et encore moins quand il faut étudier tous ces textes écrits par des morts qui n'avaient ni télé ni ordinateur.
Alors il traîne ses lacets dans les couloirs du bahut. son jean taille 56 alors qu'il fait du 38 tient par miracle, ceinturé à donf sous ses fesses qui dépassent, moulées dans un slip lycra noir, et sur son blouson customisé il y a une tête de mort sous laquelle est inscrit, j'ai la haine. dans le dos.
Avec son air de Snoopy sous tranxène, il est assis par terre, caché derrière ses longs cheveux blonds et raides, le mp3 vissé dans les oreilles et le portable à la main. Il répond au sms de Gwendo. Gwendoline, c'est sa copine, que le prof de théâtre, un ringard qui a dû connaître Montesquieu, s'obstine à appeler Mandoline.
Elle a écrit: je t'm sa va lfèr." il répond, toujours optimiste: "c mor", et il envoie.
C'est son tour. il entre et se plante devant l'examinatrice, très CPCH (collier de perles carré Hermès) avec son tailleur Chanel version Camif. Elle épluche la liste de ses ongles rouge sang à faire pâlir Freddy et lui dit d'une petite voix flûtée: Spleen de Baudelaire, ça vous convient jeune homme?
Silence.
Il opine lentement, mais à l'intérieur il est aux anges; ça na le faire, ça va arracher même. elle va pas s'en remettre la meuf. il a dix minutes pour préparer mais il ne prend pas de notes, il remet son mp3 pour se calmer en écoutant Marilyn Manson. dommage qu'il n'y ait pas de bac mp3.
Il sait ce qu'il va dire. et puis l'oral c'est génial on n'entend pas les fautes d'orthographe, sa bête noire.
Croit-il.
On l'appelle.
au bord du sourire, il s'avance toujours lentement, slalomant entre ses lacets, relève un menton légèrement arrogant vers la Camif et, désignant la chaise, lui susurre:
-J'peux m'assir?
-non, mais tu peux partoir. Zéro."

Eric Ferrat-  nouvelle extraite de "un pied dans la tombe et l'autre qui glisse"-Editions Amalthée-









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