mercredi 18 juin 2014

poteaux d'angle






" C'est à un combat sans corps qu'il faut te préparer,
                                                                                 tel que tu puisses faire front en tout cas,
combat abstrait qui,
                                au contraire des autres,
s'apprend par rêverie.


N'apprends qu'avec réserve.
                                              Toute une vie ne suffit pas pour désapprendre, ce que naïf, soumis, tu t'es laissé mettre dans la tête -innocent!- sans songer aux conséquences.


Avec tes défauts, pas de hâte. Ne va pas à la légère les corriger.
                                       Qu'irais-tu mettre à la place?


Garde ta mauvaise mémoire. Elle a  sa raison d'être, sans doute.


                                    Garde intacte ta faiblesse. Ne cherche pas à acquérir des forces, de celles surtout qui ne sont pas pour toi, qui ne te sont pas destinées, dont la nature te préservait, te préparant à autre chose.


Tu laisses quelqu'un nager en toi, aménager en toi, faire du plâtre en toi et tu veux encore être toi-même!


                             

                         Non, non, pas acquérir. Voyager pour t'appauvrir. Voilà ce dont tu as besoin.


                   Toute pensée, après peu de temps, arrête. Pense pour échapper;
 D'abord à leurs pensées-culs-de-sac,
                                                              ensuite à tes pensées culs-de-sac.



Réalisation.
                   Pas trop.
Seulement ce qu'il faut pour qu'on te laisse la paix avec les réalisations, de façon que tu puisses, en rêvant, pour toi seul, bientôt rentrer dans l'irréel, l'irréalisable, l'indifférence à la réalisation.


Va jusqu'au bout de tes erreurs, au moins de quelques unes, de façon à en bien pouvoir observer le type; Sinon, t'arrêtant à mi-chemin, tu iras toujours aveuglément reprenant le même genre d'erreurs, de bout en bout de ta vie, et que certains appelleront ta "destinée";
L'ennemi, qui est ta structure, force-le à se découvrir. Si tu n'as pas pu gauchir ta destinée, tu n'auras été qu'un appartement loué.


Si tu traces une route, attention, tu auras du mal à revenir à l'étendue.


toujours il demeurera quelques faits sur lesquels une intelligence même révoltée saura, pour se tranquilliser elle-même, faire de secrets et sages alignements, petits et rassurants.
Cherche donc, cherche et tâche de détecter au moins quelques-uns de ces alignements qui, sous-jacents, à tort t'apaisent.


Quoi qu'il arrive, ne te laisse jamais aller-faute suprême- à te croire maître, même pas un maître à mal penser.
Il te reste beaucoup à faire, énormément, presque tout. La mort cueillera un fruit encore vert.

Skieur au fond d'un puits.


Les hommes, tu ne les a jamais pénétrés.
                                                                  Tu ne les a pas non plus véritablement observés, ni non plus
aimés ou détestés à fond. Tu les a feuilletés.
Accepte donc que, par eux semblablement feuilleté,  toi aussi tu ne sois que feuillets, quelques feuillets.


Souviens-toi.
Celui qui acquiert,  chaque fois qu'il acquiert, perd.


Garde ce qu'il faut d'ectoplasme pour paraître "leur" contemporain.


La vie, aussi vite que tu l'utilises, s'écoule, s'en va, longue seulement à qui sait errer, paresser.
A la veille de sa mort, l'homme d'action et de travail s'aperçoit -trop tard- de la naturelle longueur de la vie, de celle qu'il lui eût été possible de connaître lui aussi, si seulement il avait su de continuelles interventions s'abstenir.


Ce que tu as gâché, que tu as laissé se gâcher et qui te gêne et te préoccupe, ton échec est pourtant cela même, qui ne dormant pas, est énergie, énergie surtout.
Qu-en fais-tu?


Ne laisse personne choisir tes boucs émissaires. C'est ton affaire. S'il coïncide avec le bouc émissaire d'un autre, ou de dizaines d'autres ou d'avantage, change de bouc.
Il ne peut être le tien.

La pensée avant d'être oeuvre est trajet.
N'aie pas honte de devoir passer par des lieux fâcheux, indignes, apparemment pas faits pour toi.
Celui qui pour garder sa "noblesse" les évitera, son savoir aura toujours l'air d'être resté à mi-distance.


Tu es contagieux à toi-même, souviens-t'en.
Ne laisse pas "toi" te gagner.

Une chose indispensable : avoir de la place. Sans la place, pas de bienveillance. Pas de tolérance, pas de...et pas de...
Quand la place manque, un seul sentiment, bien connu, et l'exaspération qui en est l'insuffisante issue.
Avec plus d'espace, tu peux avoir plus de sentiments, plus variés.
Pourquoi dans ce cas t'en priver?

Le continent de l'insatiable, tu y es. De cela au moins on ne te privera pas, même indigent.
.../...


.../...
En te méfiant du multiple, n'oublie pas de te méfier de son contraire, de son trop facile contraire: l'un.
C'est toujours de l'assouvissement, l'unité.
Pour cette satisfaction à tout prix, des erreurs sans limites sont nées en tout pays, et ont été acceptées...pour être ensuite tranquille parfois durant des siècles malgré l'absurde, malgré l'évidente insuffisance.


Si tu es un homme appelé à échouer, n'échoue pas toutefois n'importe comment.


Etant multiple, compliqué, complexe, et d'ailleurs fuyant- si tu te montres simple, tu seras un tricheur, un menteur.
Tu l'es. Fais au moins quelquefois un effort de sincérité au lieu de te dissimuler dans le courant de l'époque ou dans un de ces groupes où par amitié, naïveté ou espérance on s'unifie.


Si on connaissait la sensation de base des autres, on serait toujours à l'aise avec eux. Ils se tiennent en effet de préférence dans certaines parties de leur être, n'occupant pas également la totalité de leur corps, mais seulement quelques places et positions privilégiées.
Cependant même à eux, il leur manque de savoir, quoiqu'ils l'utilisent -aveuglément- où est leur centre, cette approximative base changeante, qui a ses habitudes, ses cycles, ses irrégularités, qui la rend quasi personnelle.
Là où ils se retirent.
Là d'où ils repartent pour irradier, centre mouvant peu sensiblement ou tout à fait insensiblement déplacé par des appels en relation avec des concentrations incessamment variant en silence dans un monde d'infimes se renforçant ou se freinant les uns les autres.
Cette zone vague, mais forte, demeure assez particulière à chacun pour qu'un autre ne puisse la connaître, ni même la deviner, encore moins la ressentir.
Propriété personnelle.
Ah! si on pouvait la trouver! Les énigmatiques personnes d'en face, ce serait alors tout autre chose.
Leur donner un conseil deviendrait valable.
ça le deviendra-t-il un jour?
Fini alors de jeter des bouteilles à la mer.
.../..."

 Henri Michaux- extraits de: "Poteaux d'angle" Poésie/Gallimard





 découverte d'ici
                                     

Slow Life from Daniel Stoupin on Vimeo.

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