mardi 1 septembre 2009

désespérément besoin d'Art





."../...Ainsi, comment se passe la vie? Nous nous efforçons bravement, jour après jour, de tenir notre rôle dans cette comédie fantôme.
En primates que nous sommes, l'essentiel de notre activité consiste à maintenir et entretenir notre territoire de telle sorte qu'il nous protège et nous flatte, à grimper ou à ne pas descendre dans l'échelle hiérarchique de la tribu et à forniquer de toutes les manières que nous pouvons- fût-ce en fantasme-tant pour le plaisir que pour la descendance promise.
Aussi usons-nous une part non négligeable de notre énergie à intimider ou séduire, ces deux stratégies assurant à elles seuls la quête territoriale, hiérarchique et sexuelle qui anime notre conatus. Mais rien de cela ne vient à notre conscience.
Nous parlons d'amour, de bien et de mal, de philosophie et de civilisation et nous accrochons à ces icônes respectables comme la tique assoiffée à son gros chien tout chaud.
Parfois, cependant, la vie nous apparaît comme une comédie fantôme. Comme tirés d'un rêve, nous nous regardons agir et, glacés de constater la dépense vitale que requiert la maintenance de nos réquisits primitifs, nous demandons avec ahurissement ce qu'il en est de l'Art. Notre frénésie de grimaces et d'oeillades nous semble soudain le comble de l'insignifiance, notre petit nid douillet, fruit d'un endettement de vingt ans, une vaine coutume barbare et notre position dans l'échelle sociale, si durement acquise et si éternellement précaire, d'une fruste vanité. Quand à notre descendance, nous la contemplons d'un oeil neuf et horrifié parce que, sans les habits de l'altruisme, l'acte de ses reproduire paraît profondément déplacé. Ne restent que les plaisirs sexuels; mais, entraînés dans le fleuve de la misère primale, ils vacillent à l'avenant, la gymnastique sans l'amour n'entrant pas dans le cadre de nos leçons bien apprises.
L'éternité nous échappe.
Ces jours-là, où chavirent sur l'autel de notre nature profonde toutes les croyances romantiques, politiques, intellectuelles, métaphysiques et morales que des années d'instruction et d'éducation ont tenté d'imprimer en nous, la société, champ territorial traversé de grandes ondes hiérarchiques, s'enfonce dans le néant du sens.
Exit, les riches et les pauvres, les penseurs, les chercheurs, les décideurs, les esclaves, les gentils et les méchants, les créatifs et les consciencieux, les syndicalistes et les individualistes, les progressistes et les conservateurs; ce ne sont plus qu'hominiens primitifs dont grimaces et sourires, démarches et parures,langage et codes, inscrits sur la carte génétique du primate moyen, ne signifient que cela: tenir son rang ou mourir.
Ces jours-là, vous avez désespérément besoin d'Art. vous aspirez ardemment à renouer avec votre illusion spirituelle, vous souhaitez passionnément que quelque chose vous sauve des destins biologiques pour que toute poésie et toute grandeur ne soient pas évincées de ce monde.
Alors vous buvez une tasse de thé ou bien vous regardez un film d'Ozu, pour vous retirer de la ronde des joutes et batailles qui sont les us réservés de notre espèce dominatrice et donner à ce théâtre pathétique la marque de l'Art et de ses oeuvres majeures. .../..."

extrait de: "l'élégance du hérisson" de Muriel Barbery- folio- poche-

3 commentaires:

  1. SPLENDIDE ! j'ai enfin une réponse.....j'ai tant expérimenté ces jours glauques où tout n'est que décor insipide, y compris les actions humaines.....merci !

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  2. j'aime bien la première photo notamment, un décolleté profond :-)

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  3. Anne, ce n'est pas moi qu'il faut remercier mais plutôt Muriel pour son magnifique bouquin.
    ;-)

    Rtoko, je n'avais pas envisagé le sujet sous cet angle...mais à y regarder d'un peu plus près, effectivement...
    lol!
    :-)

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