jeudi 19 février 2009

la mémoire de rien
















Il existe, sur le Causse noir, qui s'insère entre le grandiose Mejean et le pittoresque Larzac une rivière plutôt modeste, qui pourtant suffit, à un certain endroit du paysage, à creuser une excroissance calcaire au point d'y ménager un haut et large tunnel, lieu secret dont le nom qu'il lui fut attribué par les hommes n'est pas banal, puisqu'ils l'appelèrent Bramabiau, c'est à dire Brame-boeuf, à cause de la rumeur rauque et sourde que le passage de ses eaux suscite, sous la voûte qu'elles ont lentement creusée. Cette rivière infime qui, avant d'accomplir cet exploit souterrain, traverse en sinuant le plateau verdoyant, a été dotée d'un nom tout à fait inattendu, qui semble n'avoir jamais nulle part servi à désigner un lieu, mais plutôt à signifier cette sorte de plénitude intérieure, d'origine et de nature complexes, état idéal dans la constitution duquel entrent la félicité du corps et la béatitude de l'esprit. Ce nom tout à fait inusité en toponymie comme en hydrographie, c'est : Bonheur. Cette rivière sans prétention s'appelle donc "Le Bonheur". Un panneau de signalisation, fiché en terre à l'entrée du pont de pierre par lequel la route de Meyrueis à Valleraugue la franchît, atteste cette désignation, qui semblerait plutôt, au promeneur lettré, sorti d'une mytique cartographie du Tendre. Ainsi, le Bonheur, c'est cela: un ru sans histoire, qui parcourt un paysage sans souvenir. La mémoire dense et drue, légèrement musicale, de rien." -jour sans événement-"Causse Mejean ce vendredi 9 août 1996"- gil jouanard- poésie d'aujourd'hui à voix haute-orphée studio- gallimard-

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